2014-50. In memoriam : le Révérend Père Jérôme de Condrieu, capucin, martyrisé par les huguenots au temps du siège de Privas.
- 15 mai 1629 -
Le 15 mai n’est pas seulement pour nous l’anniversaire de la mort, en 1841, du Grand Chanéac, la plus belle figure de notre chouannerie locale (cf. > ici), mais cette date ramène également la pieuse mémoire du martyre d’un saint religieux franciscain, le Révérend Père Jérôme de Condrieu, dont le souvenir est aujourd’hui « étrangement » passé sous silence par les historiens locaux… et par le clergé.
Le manichéisme qui s’est emparé de l’histoire telle qu’elle est aujourd’hui racontée « exige » en effet qu’il n’y ait que de gentils protestants, pétris de douceur évangélique et modèles de tolérance, éternelles victimes des méchants catholiques oppresseurs, responsables de tous les maux de la société.
Pour évoquer ce martyre je me dois d’abord d’expliquer les évènements qui en sont le cadre historique.
La ville de Privas vers 1620
Le calvinisme s’implanta à Privas vers le milieu du XVIe siècle et y devint majoritaire, au point que les catholiques y furent maltraités, le clergé en fut chassé, l’église détruite et le culte catholique y fut aboli pendant environ soixante-dix ans.
En lien direct avec Genève, Privas devint une sorte de petit état huguenot où l’autorité royale était battue en brêche.
Lors de l’édit de tolérance de 1598, couramment appelé édit de Nantes, la ville de Privas fut du nombre des « places de sûreté » que Sa Majesté le Roi Henri IV concédait aux protestants.
Une paix précaire s’établit alors, jusqu’à l’année 1620, période à laquelle un mariage seigneurial va rallumer les feux de la guerre.
En effet, Paule de Chambaud, huguenote, charmante et fortunée châtelaine de Privas, fille du baron de Privas dont le mari avait été tué en 1617 dans les guerres du Piémont, résolue à se remarier, avait deux soupirants.
L’un, Joachim de Beaumont – plus connu sous le nom de Brison - était huguenot comme elle : il était le chef des protestants en Vivarais, mais aussi le gendre de Paule de Chambaud, et il « aspirait à devenir son mari contre toutes les lois civiles et naturelles ».
L’autre, beaucoup plus jeune, était catholique : Claude de Hautefort, vicomte de Cheylane, fils de René, baron de Lestrange.
Or, c’est ce dernier que Paule de Chambaud choisit et épousa en 1620.
Saint-Michel de Boulogne – château de Boulogne,
à environ 5 lieues de Privas et 2 lieues d’Aubenas.
En 1620, le château est le fief de Claude de Hautefort de Lestrange
qui fit construire cette porte monumentale à l’occasion de son mariage avec Paule de Chambaud.
Le mariage de Paule de Chambaud avec Claude de Hautefort de Lestrange ne fut pas accepté par les Privadois, majoritairement protestants, qui ne voulaient pas d’un seigneur catholique : ils se révoltèrent, rompirent leur serment d’allégeance, s’emparèrent du château de Privas et le détruisirent, puis se mirent sous les ordres du chef huguenot Joachim de Beaumont (Brison), prétendant éconduit (et gendre) de Paule de Chambaud.
S’en suivent neuf années de troubles, d’escarmouches, de rébellions, de désordres, d’exactions et de brigandages perpétrés par les huguenots qui veulent s’affranchir de l’autorité de l’Etat, dont ils menacent la sûreté.
Après la capitulation de La Rochelle (28 octobre 1628), la rébellion protestante tente de se réorganiser dans le Midi ; le duc de Rohan (qui commande l’armée protestante du Languedoc) souhaite que Privas en soit l’une des clefs et l’un des points de cristallisation.
Alors que les femmes, les vieillards et les enfants ont pratiquement tous quitté la petite cité, aux quelque huit-cents hommes armés de Privas viennent s’adjoindre des renforts venus de tout le Languedoc huguenot.
Le Roi Louis XIII et le cardinal de Richelieu décident qu’il est temps d’en finir avec cette guerre civile menée par le parti protestant (allié à l’Angleterre), et veulent, à Privas, porter un coup fatal à la rébellion du Midi.
Sa Majesté vient donc Elle-même – à la tête des troupes royales qui remontent d’Italie, renforcées par une armée catholique du Languedoc commandée par le duc de Montmorency, et de troupes locales aux ordres du duc de Ventadour et du vicomte de Lestrange – mettre le siège devant Privas.
On estime à environ vingt-mille le nombre des soldats royaux. Les défenseurs de Privas étaient, eux, quelque trois mille.
Abraham Bosse – gravure représentant le siège de Privas en 1629 :
« Plan de la ville de Privas avec les fortifications d’icelle assiégée par le Roi le 14ème de may 1629
et rendue en son obéissance le 28ème ».
Les offres de paix du Roi ayant été repoussées par les rebelles, le siège commença le 14 mai. Il dura seize jours : le 28 mai 1629, Privas capitula.
La petite cité fut en grande partie détruite et incendiée ; il fut interdit de revenir s’y installer sans autorisation royale. Les révoltés qui ne périrent pas dans les combats furent ou pendus ou envoyés aux galère.
L’armée royale repartit de Privas le 4 juin et se dirigea vers Alais (Alès) qui se rendit au bout de neuf jours de siège (17 juin 1629).
Le 28 juin 1629 fut promulgué l’édit d’Alais (encore appelé paix d’Alais), puis le 20 juillet 1629 fut octroyé l’édit de Nîmes.
C’est là que prennent véritablement fin les guerres civiles dites « de religion » : l’édit d’Alais supprime le privilège des assemblées politiques et des places de sûreté protestantes (trente-huit fortifications seront à démanteler), et l’édit de Nîmes confirme la liberté de culte pour les protestants établie par l’édit de Nantes, tout en restaurant le culte catholique dans tous les territoires dont l’intolérance huguenote le tenait proscrit encore jusqu’alors.
Valence : façade des anciens couvent et chapelle des Capucins, construits entre 1620 et 1630, état actuel
(vendus comme bien national en 1791, ces bâtiments devinrent l’hôpital général de Valence au début du XIXe siècle et le sont resté jusque dans les années 1970 ; la chapelle désaffectée, classée monument historique en 1997, sert aujourd’hui de lieu d’exposition et de concerts).
Passant par Valence avant de se diriger vers Privas, Sa Majesté le Roi Louis XIII avait demandé au Révérend Père Jérôme de Condrieu, gardien (c’est-à-dire supérieur) du couvent des Capucins, d’accompagner son armée en qualité d’aumônier : c’était un homme d’une très haute vertu, d’un zèle ardent et d’une grande charité.
La progression vers Privas fut difficile, car la vallée de l’Ouvèze que remontèrent les troupes royales, est parfois encaissée. Depuis les rochers abrupts ou les falaises qui surplombent cette vallée, les huguenots harcelaient l’armée catholique dans laquelle ils firent de nombreux blessés : le Père Jérôme, souvent au péril de sa propre vie, se dépensa dès lors sans compter pour secourir et soigner les blessés, et pour administrer les mourants.
A une demi-lieue de Privas, le duc de Montmorency, après avoir ramené l’ordre dans le village de Coux, y établit un hôpital militaire qu’il confia tout naturellement aux soins spirituels du Père Jérôme.
Le village de Coux, à une demi-lieue de Privas, près duquel le Père Jérôme fut martyrisé.
Alors que le siège de la ville avait commencé et que les environs semblaient en paix, le pieux religieux s’éloigna un peu dans la campagne pour s’y recueillir. C’est alors qu’une bande de huguenots en armes, cachés dans les environs, se saisirent de lui : les uns voulaient le massacrer sans délai, les autres étaient d’avis qu’il fallait le contraindre à apostasier auparavant.
Le Père Jérôme, calmement, rétorqua qu’il ne trahirait jamais sa foi et qu’il était prêt à mourir pour elle.
Les calvinistes furieux l’attachèrent à un arbre et commencèrent à lui faire endurer de nombreux outrages, tandis que le Père, silencieux, priait pour eux.
Le voyant inébranlable, ses bourreaux voulurent décharger sur lui leurs arquebuses (qu’ils appelaient rouettes), mais, à leur grande surprise, par trois fois « les rouettes faillirent » (c’est-à-dire que leurs coups n’atteignirent pas le religieux).
Au lieu d’être touchés par ce fait extraordinaire, ils n’en furent que plus furieux et déchaînèrent alors toute leur haine et leur violence sur le Père Jérôme : l’ayant d’abord pendu et dépouillé de ses vêtements, et tandis qu’il n’était pas encore étouffé par cette pendaison, avec leurs coutelas ils s’acharnèrent à lui taillader les chairs en forme de croix, lui coupèrent le nez, les oreilles, puis la langue – pour l’empêcher de prier à haute voix ! – , lui crevèrent les yeux et finalement lui déchargèrent dans la bouche un mousquet chargé de poudre mais sans balle…
On imagine aussi aisèment tous les blasphèmes et obscénités dont ces supplices étaient accompagnés.
Finalement, depuis un escarpement, ils précipitèrent le corps de l’homme de Dieu dans le lit de la rivière.
Le corps du Père Jérôme fut retrouvé quelques jours plus tard, et, bien qu’il fut horriblement mutilé, on put le reconnaître grâce à sa tonsure. Il fut ramené à Valence et enseveli dans la chapelle de son couvent vers la fin du mois de juin.
Les circonstances de son martyre, outre le fait qu’elles étaient lisibles sur sa dépouille, furent confirmées par le récit de quelques huguenots repentis et convertis, auprès desquels on récupéra aussi sa bure et son bréviaire.
Il est écrit que des démarches furent entreprises l’année même de sa mort en vue de sa canonisation, mais que l’on ne sait pas pour quelles raisons elles furent abandonnées.
Le jour exact du martyre du Révérend Père Jérôme de Condrieu a donné lieu a diverses allégations, car tous les anciens documents ne concordaient pas.
Néanmoins, la date la plus probable semble bien être celle qui est donnée par le « Journal historique du siège de Privas par Louis XIII en 1629″, c’est-à-dire le 15 mai.
Nota bene :
Selon d’autres documents, un autre aumônier de l’armée, confesseur du duc de Montmorency, le Révérend Père Bonaventure, récollet du couvent de Bourg-Saint-Andéol, fut également tué au siège de Privas, le 26 mai 1629, par une mousquetade tirée par les religionnaires. Ce religieux était en grande vénération, déjà de son vivant, et on lui reconnaissait le don des miracles, ce dont témoigne un procès-verbal d’enquête diligentée par Monseigneur Louis-François de La Baume de Suze, comte-évêque de Viviers et prince de Donzère de 1621 à 1690.

Vous pouvez laisser une réponse.
La tolérance protestante on la connait : il suffit de se rendre aux commémorations protestantes en Irlande aujourd’hui.
Merci, Frère Maximilien-Marie du Sacré Coeur.
Avec vous non seulement j’apprends tous les jours quelque chose mais en outre je l’apprends avec bonheur, et profonde tristesse pour ce cas-ci.
C’est donc cela que Rome veut nous obliger à admirer !!!!! Bravo .
Je suis révulsée des horreurs que les hommes sont capables de commettre alors qu’ils sont faits à l’image de Dieu donc capables de bien et d’amour comme le Seigneur le demande . Pourquoi donc choisissent-ils le mal ???
Merci, j’apprécie beaucoup… Oui, vraiment beaucoup.
C’est étrange comme les persécutions, quelles qu’elles soient, permettent de découvrir des vérités cachées.
Il faut dire aussi que les chats, ça fouine partout.