2014-12. Les Saintes Hosties et le « ciboire » miraculeux de Pézilla-la-Rivière.
Pézilla-la-Rivière : vue aérienne du centre ville – l’église des Saintes Hosties.
Dans la vallée de la Têt, à une dizaine de kilomètres à l’ouest de Perpignan, Pézilla-la-Rivière (en catalan Pesillà de la Ribera) est aujourd’hui une petite ville peuplée d’un peu plus de trois-mille habitants, mais qui à la fin du XVIIIe siècle comptait à peine 900 âmes.
Au centre du bourg ancien, se dresse une imposante église de briques et de pierres qui, à la fin du XIXe siècle, a remplacé un édifice plus ancien.
Le vocable de cette église est peu courant : en effet, elle ne porte pas le nom d’un saint, ou de la Vierge Marie, mais elle est dédiée aux « Saintes Hosties », dont la fête est célébrée de manière très solennelle chaque année au premier dimanche après Pâques (appelé aussi dimanche de Quasimodo).
Cette dédicace se rapporte à un évènement miraculeux, qui s’est passé lors de la sinistre révolution, dont je veux vous entretenir aujourd’hui…
Armoiries de Pézilla-la-Rivière.
Il y a 220 ans : en pleine Terreur…
1793 : la Terreur.
En Roussillon, comme partout, les « patriotes » font la guerre au catholicisme et à ses ministres sacrés : les églises sont fermées, le culte (même celui des prêtres jureurs schismatiques) est officiellement aboli, les prêtres fidèles – pour échapper à la mort – n’ont pas eu d’autre recours que l’exil ou une clandestinité pleine de dangers.
Il arrivait cependant que la vigilance des révolutionnaires se relâchât parfois quelques jours, laissant croire à une accalmie. L’abbé Jacques Pérone, curé légitime de Pézilla, se hasardait alors à reparaître dans sa paroisse, et, en bon pasteur soucieux de leur salut, il administrait les sacrements à ses fidèles.
C’est ainsi que, le dimanche 15 septembre 1793, il osa même célébrer la Sainte Messe dans son église, en présence de nombreux paroissiens.
Le bon prêtre était tellement convaincu que la persécution allait prendre fin qu’il avait replacé le Très Saint Sacrement dans le tabernacle, à savoir quatre petites Hosties dans un ciboire – pour le cas où il eût dû administrer un malade en urgence – et la grande Hostie réservée pour les saluts du Saint Sacrement.
Las ! Les espérances du zélé pasteur furent déçues : apprenant son retour et ce qu’il avait osé faire, les révolutionnaires des environs s’émurent et s’agitèrent ; dès le mardi 17 septembre, prévenu in extremis avant qu’ils ne l’appréhendent, l’abbé Pérone dut s’enfuir et prendre précipitamment le chemin de l’exil.
Il était à environ une lieue de Pézilla lorsque, en présence d’un petit groupe de paroissiens qui l’accompagnait, il laissa s’échapper cette plainte émue : « Ah ! Que ne donnerais-je pour revenir à Pézilla et y passer ne fut-ce qu’un quart d’heure !… »
Une pieuse jeune fille, Rose Llaurens, qui avait entendu cette plainte et vu le trouble de son curé, s’interrogea sur ce qui en pouvait être le motif, et elle finit par penser que c’était la crainte de voir la profanation des Saintes Espèces qui était la cause du trouble et des soupirs du bon prêtre. Il lui était toutefois impossible d’en avoir la certitude : les révolutionnaires étaient à nouveau maîtres de Pézilla, l’église était fermée, et les clefs étaient entre les mains d’un maire dont elle ne pouvait rien espérer.
Délivrance des Saintes Hosties :
Un trimestre s’écoula. Le 26 décembre 1793 la municipalité fut changée. Celui auquel la charge de maire fut imposée, Monsieur Jean Bonafos, était fondamentalement un homme droit : si les idées libérales l’avaient un peu entraîné, il était néanmoins resté sincèrement chrétien dans son cœur et il s’affligeait des excès des « patriotes ».
Rose Llaurens ne craignit alors pas d’aller le trouver discrètement et de lui faire part de ses inquiétudes, puis – non sans audace – elle lui demanda de pouvoir s’assurer qu’aucune Hostie consacrée n’avait été laissée dans le tabernacle.
Le maire se laissa convaincre et, avec la pieuse jeune fille, ils élaborèrent un plan. Quelques semaines plus tard (dans les derniers jours de janvier ou les premiers jours de février 1794), en grand secret, Monsieur Bonafos et Rose Llaurens s’en furent de nuit dans l’église ; ils ouvrirent le tabernacle et y découvrirent les Saintes Hosties : quatre petites Hosties – dont l’une divisée en deux parcelles – dans le ciboire, et la grande Hostie dans son soleil d’argent (car à cette époque, les ostensoirs n’avaient pas forcément une lunule : la grande Hostie pour l’exposition du Saint Sacrement était placée directement entre les deux verres du « soleil » et ce dernier, qui se détachait du pied de l’ostensoir, était conservé ainsi dans le tabernacle).
Aussitôt, ils résolurent de soustraire les Saintes Espèces à toute éventualité de profanation : le maire, qui voulait « avoir sa part du Bon Dieu », emporterait le soleil d’argent avec la grande Hostie, tandis que Rose garderait les petites Hosties, enveloppées dans un purificatoire. Ils laissèrent en effet dans le tabernacle le ciboire et le pied de l’ostensoir qui avaient été inventoriés par l’administration au début de la révolution.
Jean Bonafos, de retour chez lui, enferma le soleil qui contenait la grande Hostie, dans un coffret que l’on dissimula sous un plancher : il y demeura depuis le 7 février 1794 jusqu’au 9 décembre 1800.
On ne l’en retira qu’en quelques très rares occasions, par crainte des visites domiciliaires. La position de Monsieur Bonafos, premier magistrat de la commune, ne lui permettait pas de faire savoir à d’autres ce qu’il cachait dans sa demeure ; toutefois il réussit à faire parvenir un message à l’abbé Pérone, alors en exil à Gérone dans le Royaume d’Espagne, l’informant du sauvetage des Saintes Hosties. Il lui demandait même de célébrer une Sainte Messe d’action de grâces.
Tout autre fut la destinée des quatre petites Hosties confiées à Rose Llaurens : la jeune fille avait mis dans la confidence sa mère et une religieuse Augustine que la suppression des ordres monastiques avait contrainte à rentrer dans sa famille, Mère Joséphine de Romaya. Les trois pieuses femmes voulurent que les Saintes Espèces fussent conservées avec le plus d’honneur possible, et que l’on pût convenablement les adorer…
Les Saintes Hosties chez les Llaurens :
Comme elles n’avaient pas de ciboire, elles les déposèrent – toujours enveloppées du purificatoire – dans un sucrier de cristal : c’était le récipient le plus précieux de leur humble demeure.
Ce petit sucrier était en cristal ordinaire, uni et transparent, sans dorure ni aucun ornement, avec un couvercle de cristal lui aussi sans aucun ornement. Avec un petit coupon de soie rouge, Mère Joséphine lui fabriqua un pavillon. Tel sera le ciboire improvisé de Jésus-Eucharistie jusqu’au mois de décembre 1800.
Le petit sucrier de cristal de Rose Llaurens.
En guise de tabernacle, on lui aménagea un petit placard mural dans lequel on suspendit une veilleuse.
Moins exposée aux soupçons que celle du maire, la maison Llaurens devint le lieu de rendez-vous d’un certain nombre de fidèles que l’on mit dans la confidence. Il fallait toutefois user de discrétion, voire de ruse, pour s’approcher du divin Maître sans éveiller la sourcilleuse surveillance des révolutionnaires et des traitres.
Les âmes pieuses qui étaient dans le secret s’abordaient dans la rue en se demandant quelque objet ou aliment – une marmite, du persil ou des oeufs par exemple -, et si la réponse était affirmative on entrait chez Rose… pour adorer et prier devant le tabernacle clandestin.
Tous les ans, le Jeudi-Saint, les fidèles dressaient devant cette armoire un reposoir aussi solennel et beau que les circonstances le leur permettaient, et rendaient au Dieu de l’Eucharistie des actions de grâces et des réparations que le climat de persécution rendait encore plus ferventes.
Plus d’une fois, malgré les précautions prises, la famille Llhaurens fut l’objet de suspicions de la part des enragés : un jour, menacée par une visite domiciliaire, Rose n’eut pas d’autre recours que de sortir juste à temps le sucrier de l’armoire pour le cacher dans un sac de farine ! Une autre fois, l’un des plus farouches révolutionnaires de la ville monta sur le toit des Llaurens afin d’écouter, par le conduit de cheminée, ce qui se passait dans la maison… Cependant, à n’en pas douter, une grâce toucha son coeur puisque l’homme rencontrant ensuite Rose Llaurens lui déclara : « Je sais que tu caches chez toi les Saintes Hosties, mais je te jure de n’en rien dire… »
Il est un point sur lequel il faut insister ici : pendant tout le séjour des Saintes Espèces chez Rose, dans leur petit « ciboire » de fortune, ce dernier resta couvert du pavillon de soie rouge qu’avait confectionné Mère Joséphine de Romaya ; les fidèles ne pouvaient donc pas le voir directement, non plus que les Saintes Hosties qu’il contenait et qui étaient toujours enveloppées dans le purificatoire avec lequel Rose les avait rapportées de l’église.
Fin de la persécution, retour des Saintes Hosties à l’église ;
leur conservation miraculeuse :
Enfin l’aurore de jours meilleurs se leva pour l’Eglise de France. Au cours de l’année 1800, les églises furent rendues au culte ; les prêtres qui avaient survécu sortirent de la clandestinité ou revinrent d’exil.
Le premier prêtre qui rentra à Pézilla fut le vicaire, l’abbé Honoré Siuroles : c’est lui qui vint chercher chez Rose Llaurens les Saintes Hosties, le 5 décembre 1800, pour les ramener dans le tabernacle de l’église.
Quelques jours plus tard, l’abbé Jacques Pérone, curé, rentra à son tour, et c’est lui qui, le 9 décembre – comme nous l’avons écrit plus haut – , alla sortir la grande Hostie de sa cachette chez le maire, pour la ramener solennellement à l’église, dans une procession que l’on fit la plus belle possible.
Le premier point sur lequel il convient d’insister tout d’abord, c’est que, les quatre petites Hosties conservées chez Rose et la grande Hostie gardée par Jean Bonafos étaient absolument intactes et ne présentaient aucun signe de corruption : cette conservation parfaite des Saintes Hosties pendant plus de sept ans était déjà en elle-même un prodige, car qu’y a-t-il de plus fragile et de plus périssable que les Espèces Eucharistiques ?
Ramenées dans le tabernacle de l’église, elles ne furent pas consommées à ce moment, et, depuis, jamais l’autorité ecclésiastique – pourtant très vigilante sur ce point – n’a donné l’ordre de les consommer.
Des enquêtes canoniques furent diligentées par les évêques de Perpignan en 1804, 1845 et 1874, reconnaissant la permanence du miracle de leur conservation.
A partir du milieu du XXe siècle, des marques de corruption furent constatées sur les petites Hosties et, dès lors, ne furent-elles plus exposées au regard des fidèles, mais l’autorité ecclésiastique ne demanda toujours pas qu’elles fussent consommées.
A l’heure actuelle, nous avons appris, lors d’un entretien avec l’actuel curé de Pézilla, qu’il n’en subsiste plus qu’une « poussière » d’Hosties, conservée comme une sorte de « relique ».
Il n’en est pas de même pour la grande Hostie, que l’on peut toujours voir, comme en témoigne cette photo récente envoyée par une amie roussillonaise :
Le « ciboire » miraculeusement doré :
Mais il est un autre miracle, lui aussi toujours visible, qui fut constaté par l’abbé Siuroles et toutes les personnes présentes chez Rose Llaurens dès le 5 décembre 1800.
On se souvient, bien sûr, que Rose avait déposé les quatre petites Hosties enveloppées d’un purificatoire dans un petit sucrier de cristal ordinaire, uni et transparent, sans dorure ni aucun ornement : or lorsque l’abbé Siuroles souleva le pavillon de soie rouge confectionné par la Mère de Romaya, ce petit sucrier présentait une teinte dorée qu’on ne lui connaissait pas…
Lui aussi fit l’objet d’examens attentifs : les parties dorées sont celles, et uniquement celles, qui ont été en contact avec le purificatoire enveloppant les Saintes Hosties, c’est-à-dire la coupe et une bande circulaire de la partie inférieure du couvercle.
Cette dorure est humainement inexplicable : elle ne consiste pas, en effet, en un placage déposé à la surface extérieure du cristal ; si l’on touche cette surface, on ne touche que le cristal, et si l’on essaie de gratter, on ne peut rien enlever car il semblerait que cette dorure consiste en une espèce de paillettes introduites dans l’épaisseur, dans la texture même du cristal !
Le sucrier miraculeusement doré exposé dans un reliquaire.
Monseigneur Anatole de Cabrières, évêque de Montpellier et futur cardinal, dans le discours qu’il prononça en 1893 à l’occasion des fêtes du centenaire de la consécration des Saintes Hosties, décrivit ce miracle comme « le procès verbal de Jésus-Christ Lui-même reconnaissant avec joie qu’Il avait trouvé là un refuge de piété et de tendresse ».
Le sucrier miraculeux de Pézilla dans son état actuel.
Nota bene :
Nous adressons nos plus vifs remerciements à Monsieur l’abbé Joël Adoue, qui est en cette année 2014 curé de la communauté de paroisses à laquelle Pézilla-la-Rivière est actuellement intégrée, qui a fort aimablement répondu à nos questions et nous a donné un beau témoignage de foi dans le miracle des Saintes Hosties, ainsi qu’à Madame Anne-Marie Cortade pour les très belles photos qu’elle nous a envoyées et dont nous nous sommes servis pour illustrer cette brève notice historique.
Addenda 2019 :
Nous vous renvoyons aussi aux photographies publiées en 2019, montrant la nouvelle présentation des Saintes Hosties et du sucrier miraculeux accomplie en 2017 > ici.
Lully.
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Quel bon récit ! Très belle histoire !
Un exemple pour nous!
Toujours le surnaturel auquel ne croit pas la « déesse raison ».
Qui prendra soin des Saintes Espèces durant une prochaine persécution ?
Il ne manquera pas d’autres courageux et fervents adorateurs pour les soustraire aux profanateurs…
Quel bon récit ! Merci à ces belles âmes..
J’ai lu le récit et je remercie Dieu de l’amour qu’il a pour ses fils.
Quelle ferveur ont eu les habitants de ce lieu ; ils sont un exemple pour nous!
Merci à ces saintes âmes!!!