2013-76. « Le caractère ferme et résolu dont cette princesse était éminemment douée ne lui permit jamais de plier aux circonstances même les plus difficiles ».
- 16 octobre -
Anniversaire de l’exécution
de
Sa Majesté la Reine Marie-Antoinette.
Indépendamment des fêtes liturgiques qui illustrent ce jour, le 16 octobre ramène le triste anniversaire de l’exécution de Sa Majesté la Reine Marie-Antoinette.
Après avoir publié la dernière lettre de l’infortunée souveraine, improprement appelée « testament » (cf. > ici) ainsi que la photographie des toutes dernières lignes qu’elle traça sur la page de garde de son livre d’heures (cf. > ici), nous voulons faire connaître une oraison funèbre publiée en 1814, œuvre d’un certain F. Roullion-Petit dont nous confessons ne rien connaître par ailleurs.
Si cette œuvre présente d’évidentes imperfections d’ordre historique – mais qui pouvait alors connaître avec précision ces détails que d’actuels chercheurs commencent seulement à mettre en valeur ? – , elle n’en est pas moins remarquable par le style (tant de prêtres actuellement sont incapables de parler et d’écrire correctement notre belle langue !) et par les sentiments qui l’animent.
Afin d’en faciliter la lecture nous avons modernisé l’orthographe, mais avons scrupuleusement conservé la ponctuation de l’opuscule que nous avons eu en mains.
Nous avons été spécialement sensibles aux dernières lignes de cette oraison funèbre qui, même en dehors du contexte de la Restauration et de la dédicace à Madame la duchesse d’Angoulême – l’unique survivante de l’horrible tour du Temple – , peuvent encore aujourd’hui exprimer nos plus chères espérances pour la France à travers le rétablissement providentiel des Lys et des légitimes héritiers de la Couronne. A cette belle péroraison pouvons-nous dire autre chose qu’un vibrant « ainsi soit-il » ?
« Dieu tout puissant, Vous seul pouvez opérer cet éclatant phénomène ; Vous seul pouvez recueillir et rétablir sur leur sol natal ces rameaux épars et dispersés ; Vous seul pouvez assurer un abri tutélaire à cette fleur tendre et délicate, échappée, comme par miracle, aux secousses les plus violentes des vents les plus impétueux : sauvée sous l’égide de Votre divine bonté, elle offrira un jour le spectacle le plus touchant et le plus admirable ; elle paraîtra au milieu de ce peuple naguère livré aux plus funestes égarements : sa présence sera celle de l’ange consolateur ; devant elle marcheront la paix, la concorde et le bonheur. Avec quel ravissement tout un peuple, ivre d’amour, de joie et d’espérance, contemplera cette heureuse production sur laquelle la nature s’est plu à verser ses dons les plus riches, et la Providence ses faveurs les plus signalées et les plus extraordinaires. »
Vitrail représentant l’exécution de Sa Majesté la Reine Marie-Antoinette
(église de La Boissière de Montaigu – Vendée)
Oraison funèbre
de
Marie-Antoinette,
archiduchesse d’Autriche,
fille de l’Impératrice-Reine Marie-Thérèse,
femme de Louis XVI
dédiée à Son Altesse Royale Madame,
Duchesse d’Angoulême
par F. Rouillion-Petit,
ancien professeur d’éloquence et de philosophie.
Paris
1814
Il est des âmes privilégiées à qui la nature semble avoir départi des forces surnaturelles qui les élèvent au-dessus de tous les événements, en leur inspirant, au milieu des plus grands périls, cette courageuse fermeté que rien ne peut ébranler. Ces caractères augustes, bien faits pour exciter l’étonnement et l’admiration, n’empruntent leur éclat, ni de la fortune, ni de la grandeur : il semble au contraire que c’est dans les épreuves de la plus cruelle adversité qu’ils puisent leur force et leur résistance ; et que plus les obstacles se multiplient et les dangers s’accroissent ; plus leur volonté se roidit, plus leur caractère se raffermit. Horace s’était dignement pénétré de l’énergie de ces sortes de caractères, lorsque parlant de l’homme, fort et robuste, il dit, pour peindre d’un seul trait, ce courage inébranlable, qui n’est susceptible d’aucune crainte ; que l’univers entier s’écroulerait vainement sous ses pieds, on le verrait calme et paisible au milieu de cette épouvantable catastrophe.
Ces êtres d’une espèce rare et extraordinaire semblent commander par eux-mêmes le respect et l’admiration. Tant est grand et irrésistible l’ascendant d’un noble caractère, le pouvoir d’une vertu qui ne se laisse ni séduire ni intimider ! Un pareil spectacle est imposant, et mérite bien sans doute de fixer les regards des faibles mortels. Mais si à cette admirable qualité viennent se joindre la pompe des grandeurs, l’éclat du rang, la splendeur des dignités, une origine des plus illustres, de quelle vive émotion, de quels transports de respect et d’enthousiasme ne sommes-nous pas pénétrés, en contemplant l’auguste victime qui, livrée aux traits de la plus affreuse persécution, en butte à tous les outrages de l’infortune et de la calamité, voyant se ramasser sur sa tête toutes sortes d’orages et de tempêtes, aperçoit autour d’elle les éclats de la foudre ; et après avoir vu périr de la manière la plus épouvantable tout ce qui l’intéresse, tout ce qui l’attache à l’existence, est-elle même frappée du coup funeste ; et tombe victime courageuse des coups terribles auxquels la fragilité humaine ne peut se soustraire ; sans que sa vertu découvre la moindre faiblesse, sans que son courage se démente un seul instant.
Tel est le spectacle intéressant que nous présente Marie-Antoinette, Reine de France, dans cette lutte pénible et douloureuse, où la révolte aux prises avec l’autorité, après avoir déchiré la monarchie par lambeaux, porta ses mains criminelles, sur les dépositaires de la puissance souveraine ; et se souilla du sang de ces victimes illustres, qui méritèrent à tant de titres les respects et l’admiration du monde entier.
Digne fille de Marie-Thérèse, dès l’aurore de sa vie, tout annonçait dans cette princesse une âme grande et fière. A peine âgée de quinze ans, elle fut mariée à Louis XVI, et fut reçue en France, comme un ange consolateur qui devait faire oublier les malheurs du long règne de Louis XV. Elle parut au milieu du peuple le plus aimant de la terre sous le cortège des grâces et de la beauté : au port le plus majestueux, aux yeux les plus beaux et les plus expressifs, à la taille la plus élégante et la plus noble, elle joignait un esprit vif, une humeur enjouée, un caractère ferme et décidé, un ton de grandeur et de fierté même, qui décélait l’éclat et la majesté du rang, et qui semblait annoncer l’auguste fille des Césars. Des fêtes et des réjouissances célébrèrent cette glorieuse union que tous les français accueillirent avec les transports de l’enthousiasme : un accident funeste qu’une sage prévoyance aurait dû prévoir et empêcher, couvrit d’un crêpe funèbre des jours consacrés à la joie et aux plus douces réjouissances ; et sembla préluder à ce long tissu de peines et de souffrances, dont l’auguste couple devait être enveloppé.
Ainsi dès le début d’une navigation, s’il survient dans le bâtiment quelqu’accident funeste, la tristesse s’empare de tout l’équipage, qui dès lors calcule et prévoit en quelque sorte tous les périls attachés à sa périlleuse entreprise.
L’événement pénible qui avait attristé tous les coeurs développa l’âme sensible et généreuse de Marie-Antoinette. On la vit, avec autant d’attendrissement que de reconnaissance, partager avec son époux le soin douloureux de secourir et consoler les familles infortunées, qu’une circonstance malheureuse avait condamnées aux larmes et à la douleur. Tout annonçait dans la jeune princesse une âme grande et généreuse ; et le peuple se plaisait à la contempler comme le digne objet qui devait fixer ses plus chères espérances. Fatiguées de ce tableau journalier de relâchement et de licence, dont les derniers temps du règne de Louis XV présentaient l’affligeant spectacle, la cour et la ville voyaient avec ravissement la jeune dauphine offrir le modèle des moeurs pures et innocentes et de la beauté embellie par la décence : ses grâces, son esprit, son amabilité enchantaient tout le monde, et la rendaient chaque jour plus chère aux français ; les tracasseries que lui faisait éprouver la favorite, ne faisaient qu’ajouter au vif intérêt dont elle était l’objet.
Forte de la tendresse de l’attachement de son auguste époux, elle supporta avec calme et dignité des dégoûts, qui ne pouvant être que passagers et de peu de durée, ne firent qu’effleurer son âme sensible et fière. Occupée uniquement du bonheur de Louis XVI, elle oubliait les torts injustes du vieux monarque ; et les écarts d’une créature, vile à ses yeux, ne devaient point altérer la douce sérénité de son coeur.
Le temps, ce destructeur impitoyable, qui, dans sa marche constante et rapide, entraîne indifféremment le monarque et les sujets, devait changer cet ordre de choses ; et en arrachant les jeunes époux à une dépendance pénible devait aussi leur faire parcourir le cercle douloureux des vicissitudes les plus accablantes. A peine assis sur le trône de ses pères, Louis XVI vit s’entr’ouvrir sous ses pas un abîme profond qui dut l’effrayer et l’intimider. Dans la circonstance difficile où il se trouva placé, Marie-Antoinette lui traça plus d’une fois la marche qu’il devait suivre, et lui offrit souvent des conseils, où brillèrent à la fois sa pénétration, sa politique et son courage ; et l’histoire, en peignant ces temps désastreux, prouvera sans doute, que, si Marie-Antoinette avait tenu les rènes de l’état, elles n’eussent point flotté incertaines dans ses mains ; que la révolte et la violation des principes eussent été comprimés dès leur origine ; qu’un prince du sang n’aurait pas offert impunément l’exemple scandaleux d’un perturbateur et d’un factieux qui poussa l’oubli de ses devoirs les plus sacrés, au point de venir jusques sur les marches du trône, prêt à l’ensanglanter et à s’y assoir ; et si la fortune injuste et capricieuse eût trahi son noble courage et sa ferme intrépidité, elle aurait su du moins par un courageux dévouement tracer aux têtes couronnées un exemple illustre et mémorable.
Le caractère ferme et résolu dont cette princesse était éminemment douée ne lui permit jamais de plier aux circonstances même les plus difficiles : courageuse au point de braver les plus grands périls et de vouloir maîtriser les événements par le seul ascendant d’une volonté inflexible, elle dédaigna trop peut-être cet art mensonger d’une politique prévoyante qui sait composer avec la nécessité, en ménageant ou caressant même des passions dangereuses : l’esprit de condescendance ne pouvait dans elle s’allier avec cette marche fixe et régulière que lui traçait son grand caractère : aussi, nous ne craignons pas de l’avouer, cette volonté poussée quelquefois en quelque sorte jusqu’à l’opiniâtreté put compromettre sans doute les intérêts de la monarchie, tandis qu’en s’écartant momentanément de la règle austère des principes, il eut été possible, facile même de produire les plus heureux changements : en effet, si l’on transporte sa pensée vers ces temps orageux qui nous offrirent les premiers actes du drame révolutionnaire, qui pourrait disconvenir que les hommes influents qui dirigeaient la révolution et sapaient chaque jour le trône jusqu’aux fondements, pouvaient être accessibles aux faveurs de la cour, et se laisser influencer par les chatouillements de l’ambition ? N’est-on pas persuadé, convaincu, que des talents fameux qui mettaient impitoyablement la monarchie en lambeaux, auraient certainement changé de rôle, si la Reine par l’inflexibilité de ses principes, n’eût empêché les résultats d’une politique commandée impérieusement par la nécessité la plus rigoureuse. Mirabeau, le célèbre Mirabeau, eût sans contredit cessé d’être l’orateur du peuple, dès le moment où il serait devenu le ministre de Louis XVI ; et ce colosse révolutionnaire, après avoir ébranlé la monarchie, et l’avoir poussée jusques sur le pendant de l’abîme, aurait pu la rétablir peut-être dans toute sa force et sa splendeur, si Marie-Antoinette dirigée par des principes immuables qui ne lui permettaient point de capituler avec les ennemis de la couronne, ne s’était opposée à ce qu’il fût appelé au ministère.
Ainsi le chêne majestueux, dédaignant la souplesse du roseau, n’incline point sa tête superbe sous les coups redoublés des vents les plus impétueux ; et le roi des forêts sera déchiré, déraciné, plutôt que de se courber devant les plus fiers ouragans.
Cependant les événements se pressent de plus en plus ; ils s’accumulent avec une rapidité effrayante ; chaque jour on voit arracher une colonne du temple monarchique ; chaque jour avilie, dégradée, la royauté semble pencher vers sa ruine : au milieu des outrages sans nombre et de toute espèce dont la cour est sans cesse abreuvée, tout semble ployer sous la force irrésistible des circonstances ; tout cède à l’empire tumultueux des passions déchaînées ; et dans cette lutte trop inégale, où la force et la fureur sont aux prises avec la douceur et la bonté d’un monarque, qui semble assurer le triomphe de ses ennemis par la tendresse inépuisable qui le porte à ménager ses sujets, Marie-Antoinette toujours ferme et résolue, fait seule tête à l’orage qu’elle semble braver avec un noble dédain ; son caractère se déploie toujours avec cette noble assurance, avec cette imposante majesté qui fait plus d’une fois frémir ses ennemis, et qui commandent le respect et l’admiration de la postérité. Quelle noble fierté ne montre-t-elle point, lorsqu’on vient l’insulter jusques dans son palais ! Que de fermeté, que de grandeur d’âme, lorsque des hordes nombreuses cherchent à l’effrayer de leurs horribles menaces !
Entourée de son auguste famille, elle semble protéger de la force de sa grande âme la faiblesse de ces rejettons illustres, qui dans des temps plus heureux, feraient la gloire et l’ornement de la France.
A quelles pénibles souffrances dut être livré le coeur généreux d’une mère sensible, au milieu de cette troupe de forcenés, qui foulant aux pieds la majesté du pouvoir souverain, brisant en quelque sorte la dignité du trône, venait insulter ses maîtres jusques dans leur asile sacré ! De quelle grandeur d’âme ne fallait-il pas être doué pour en imposer à ces furieux livrés aux débordements des passions les plus féroces ? Qu’on se rappelle le caractère magnanime que déployé la Reine, dans ces terribles circonstances : plusieurs fois elle traversa ces dangereux attroupements composés d’individus capables de se porter aux derniers excès, aux plus sanglants outrages ; et toujours on la vit, le front calme et serein, déployant cette majestueuse dignité, qui semblait dire aux rebelles : Je ne vous crains point ; et malgré vos fureurs, je vous forcerai à respecter votre souveraine. Tel est l’ascendant irrésistible d’un caractère ferme et résolut, qu’il arrête comme par enchantement, les flots tumultueux des passions les plus furieuses et les plus acharnées ! Telle était l’égide protectrice qui préserva si souvent la princesse des plus grands périls, et l’arracha comme par miracle aux fureurs de la multitude. Ce noble élan d’un caractère si magnanime ne se démentit pas un seul instant : ce n’était point chez la Reine de ces éclairs passagers qui brillent de loin en loin, pour disparaître ensuite, et se cacher dans l’ombre et les ténèbres : cette flamme sublime jetta constamment la lumière la plus vive et la plus soutenue : et dans les conjonctures les plus difficiles, dans ces moments redoutables, où tous les esprits étaient épouvantés, Marie-Antoinette conserva son courage, et ne se laissa point intimider par les dangers même les plus graves et les plus imminents. Funeste et cruelle journée du dix août, tu fis briller dans tout son éclat ce caractère grand et magnanime : tu nous montras la Reine disposée à braver et les fureurs du peuple et les foudres de la guerre ; prête à affronter la mort, et à rallier autour du trône par son courage et sa noble intrépidité ses appuis et ses défenseurs. Quelle scène imposante et terrible ! De nombreux bataillons investissaient toutes les avenues du château des Tuileries : la cour, entourée d’une faible garde et de quelques serviteurs fidèles qui, à la vue du péril, s’étaient ralliés autour du monarque, ne pouvait opposer qu’une poignée d’hommes à une armée immense : le mouvement d’une artillerie formidable, les cris de rage et de fureur d’une partie des assaillants, un tel spectacle était bien fait sans doute pour intimider le courage le plus intrépide. Cependant à la vue des ces préparatifs menaçants, bien loin de s’effrayer, la digne fille de Marie-Thérèse sentit en quelque sorte sa grande âme se développer : inaccessible à la faiblesse et à la crainte, elle ne vit point la chance meurtrière des combats ; elle ne calcula point les dangers d’une défense presque impossible ; elle ne connut, elle n’éprouva qu’un seul sentiment, celui de vaincre, ou de s’ensevelir sous les décombres de la monarchie. Dans cette circonstance urgente et décisive, elle se présente à Louis XVI, un pistolet à la main.
« Le moment est venu, lui dit-elle, où vous devez prouver que vous êtes digne de régner : on menace votre couronne ; vous devez la défendre : paraissez à la tête de vos gardes ; montrez-vous disposé à repousser la force par la force ; et tout rentrera dans l’ordre : le temps presse, ajouta-t-elle, tout est perdu, si vous ne prenez de suite le seul parti qui vous prescrivent les circonstances : ne croyez pas que ce peuple qui vous brave, parce qu’il vous croit faible, vous respectera davantage, lorsqu’il vous aura vaincu et enchaîné : craignez les effets de sa fureur ; craignez-les, et pour vous et pour votre famille ».
Le vertueux monarque était capable sans doute d’écouter et de suivre les nobles inspirations du courage : mais sa douceur et sa bonté ne lui permirent pas de supporter la pensée de voir couler sous ses yeux le sang de ses sujets, quelque coupables qu’ils fussent. Le doigt de l’Eternel avait marqué ce moment redoutable pour celui de la chute de la monarchie, soit pour offrir à la terre un exemple mémorable de la fragilité des grandeurs terrestres, soit pour faire connaître aux nations à quels terribles fléaux elles s’exposent, en brisant de leurs coupables mains l’égide tutélaire d’un pouvoir paternel et protecteur, qui peut seul opposer un mur d’airain, soit aux sanglantes factions, soit au féroce despotisme.
Les décrets terribles sont accomplis ; l’arbre majestueux qui avait jeté de profondes racines sur le sol de la France, à laquelle il offrait un abri bienfaisant, a succombé sous la hache meurtrière des partis : la bannière de la révolte a usurpé sa place, après avoir dispersé ses utiles rameaux : bientôt elle couvrira ce sol infortuné de ruines et de cadavres ; et cette terre si féconde, devenue stérile, ne sera plus arrosée que de sang et de larmes : bientôt l’ordre des temps, la saison des âges seront invertis ; et la faux meurtrière de la mort frappera impitoyablement cette vive et brillante jeunesse qui, par une destruction anticipée, laissera sans consolation la vieillesse triste et délaissée, et sans appui, cet âge faible et tendre, qui appelera vainement ses protecteurs naturels.
Mais suivons l’auguste famille dans l’indigne demeure qu’on lui a fixée : contemplons la dignité souveraine déchue de ses prérogatives et de ses droits, pour être précipitée du faîte des grandeurs dans l’abîme profond de la plus cruelle adversité. L’héritier de soixante-sept monarques est arraché de son palais, pour être enfermé dans la tour du Temple : son illustre compagne, la fille des Césars, a été dépouillée de ce rang élevé, où sa naissance et ses qualités personnelles l’avaient également appelée, pour être mise dans les fers. Ces tendres rejetons, l’espoir de l’état, le gage de la prospérité publique, qui ont à peine salué l’aurore de leur existence, voeint tout-à-coup s’éclipser la grandeur de leur rang, disparaître les hommages qu’ils étaient appelés par leur illustre naissance à recueillir : ainsi, la rose printannière, après s’être épanouie sous la douce influence de l’astre lumineux, perd tout-à-coup son éclat et sa fraîcheur, que lui a ravis le souffle empoisonné d’un vent brûlant. Désormais c’est à l’école du malheur, c’est sous le poids des plus cruelles tribulations, sous les yeux des infortunés auteurs de leurs jours, que les Enfants de France vont faire le dur et pénible apprentissage de la royauté. Tristes et fâcheuses vicissitudes des grandeurs d’ici-bas, et qui nous prouvent bien toute la fragilité ou plutôt le néant des dignités humaines. O vous qui connaissez les douces émotions du sentiment ! vous que les vices du siècle n’ont point dégradés, corrompus, portez vos regards sur ce touchant spectacle, qui doit exciter à la fois votre attendrissement et votre admiration. Marie-Antoinette n’est plus cette princesse auguste qui, assise sur un trône puissant, déploya toujours ces qualités sublimes qui rendront sa mémoire chère à la postérité : elle n’est plus cette Reine adorée, qui embellissait le trône par ses vertus et par cette dignité majestueuse qui frappait et attirait tous les regards : c’est une victime touchante des caprices injustes de la fortune ; c’est une mère de famille qui concentre ses nobles occupations sur les dignes objets de sa tendresse ; c’st là que ses regards ainsi que sa pensée se portent continuellement : avec quelle généreuse sollicitude ne veille-t-elle pas sur sout ce qui peut intéresser leur existence. Son coeur souffre, sa grande âme est souvent attérée ; mais ses souffrances personnelles ne sont comptées pour rien dans les larmes amères qu’elle est forcée de répandre. Si ses yeux versent souvent des pleurs, c’est en les portant sur cet époux vertueux, si digne d’amour et de respect : si son coeur se gonfle de chagrin, c’est lorsque sa pensée se fixe sur ces jeunes et intéressantes victimes dont elle pressent la douloureuse destinée : ses alarmes sont souvent cruelles et terribles, parce que le sentiment qui les produit est aussi vif que profond. Qui pourra consoler cette intéressante famille au milieu de tant et de si pénibles tribulations ? La vertu peut-elle donc supporter de si fortes épreuves ? L’auguste fille du ciel, cette vierge pure et respectable qui sait si bien alléger les maux des mortels infortunés, tristes jouets de la perversité humaine, a pu seule créer ces sublimes consolations qui soutiennent avec tant de force et de sécurité les victimes illustres précipitées dans un abîme de souffrance. Ce noble caractère que la nature a départi à la Reine, puise surtout dans les principes sacrés d’une religion révérée, ses forces et sa constance ; et si, vaincue, prête à succomber sous le poids excessif des tourments qui s’accroissent chaque jour, cette princesse sent quelquefois son courage s’affaiblir et sa force l’abandonner, bientôt cet ange de paix, de doucer et de bonté, que les liens du sang ont associée à ses malheurs, lui présente ces pensées sublimes et entraînantes qui élèvent l’âme jusqu’au Créateur suprême, et effacent, en quelque sorte, jusqu’aux sentiments des plus horribles souffrances. Sans doute il fallait la réunion et le secours d’un si puissant auxiliaire, pour pouvoir supporter un sort qui excède les forces humaines. Qu’on se peigne cette Reine illustre en butte à tous les outrages, à toutes les tracasseries, inquiète sur le sort qu’on prépare à son auguste époux, effrayée des traitements cruels qu’on lui fait souffrir, privée fréquemment de toute consolation par la séparation brusque et douloureuse de tout ce qu’elle a de plus cher au monde, ne prévoyant que trop la destinée inévitable qui l’entraîne, et à laquelle aucune puissance ne saurait la soustraire : obligée souvent de dissimuler sa tendresse pour ne pas offrir à ses persécuteurs de nouveaux moyens de torturer son coeur : forcée tant de fois à dévorer seule et en silence sa douleur : privée à la fois de ses douces et touchantes consolations et ne pouvant épancher son âme, entourée de ses bourreaux qui épiaient jusqu’aux plus douces affections de la nature, pour les étoufer ou les punir, par un raffinement de persécution et de cruauté. Dieu ! quelle fermeté a pu supporter tant de souffrances ; et quelle âme a pu résister à tant de secousses ! Cependant l’événement le plus cruel ne s’est point encore appesanti sur elle ; ils sont dans les fers ; ils souffrent tous les tourments ; mais ils vivent tous encore ; et une séparation éternelle n’a point frappé du coup le plus funeste l’auguste victime : hélas ! le plus cruel sacrifice est résolu : Marie-Antoinette a pu survivre à la perte du trône ; mais comment survivra-t-elle à la perte de cet époux qui ne vécut, qui ne respira que pour elle, et qui lui donna tant de marques de son amour ? Clartés célestes, couvrez-vous des ombres de la nuit ! ô terre, séjour de crimes et de larmes, couvre-toi d’un crêpe funêbre ! le meilleur des Rois a péri victime de son amour pour son peuple ! Puissance divine, vous seule avez pu soutenir jusqu’à ce jour le courage surnaturel de cette princesse digne d’un sort aussi heureux qu’il est cruel : vous seule pouvez l’empêcher de succomber sous le poids de sa douleur : vous seule pouvez lui montrer qu’il est des devoirs auxquels on doit se sacrifier : inspirée par cette tendresse inépuisable qui l’attache si fortement à ces augustes orphelins qui réclament jusqu’aux dernières étincelles de son amour, l’infortunée Reine va supporter encore l’accablant fardeau de la vie, pour boire, hélas ! jusqu’à la dernière goutte, la liqueur dégoûtante qu’elle doit prendre dans le calice de la douleur. Ainsi, elle était réservée à souffrir tous les genres de supplice qui pouvaient froisser et tourmenter sa grande âme.
Bientôt elle arrivera au terme de ses malheurs et de ses souffrances : bientôt elle partagera le sort funeste de son vertueux époux. Tendresse maternelle, à quels cruels tourments serez-vous livrée ! quel affreux avenir ! Laisser sur cette terre sanglante, dans les fers et la captivité ces chers orphelins, seuls, sans appui, au milieu de leurs ennemis les plus implacables, quel coeur ne serait brisé, anéanti, à cette triste et accablante pensée ? En vain la force et la raison cherchent à éloigner cette affreuse image ; le cri perçant de la nature, l’accent touchant de l’amour maternel viennent frapper à chaque instant l’imagination effrayée de la princesse. Ils n’auront plus d’appui, ils n’auront plus de consolation : tout leur sera ravi ; l’espérance elle-même, qui se plaît à verser sur les plus cruelles blessures un baume vivifiant et consolateur, l’espérance s’enfuira épouvantée ; et désertera ce triste séjour où le crime compte ses victimes, pour les précipiter dans le gouffre de l’éternité. Dieu ! quel sort affreux ! et ce sont là les tristes préludes du sacrifice que le crime et la fureur doivent ordonner.
C’en est fait ; la catastrophe approche : l’âme oppressée sous le poids accablant des tourments les plus horribles, l’esprit affaissé, anéanti, l’infortunée mère a dit un éternel adieu à ses tristes et malheureux enfants. Pour la dernière fois, elle connaît les étreintes de la tendresse, d’une tendresse, hélas ! bien douloureuse ! Princesse adorable, ange de douceur et de bonté, vertueuse Elisabeth, c’est sur vous seule désormais que doit porter tout le fardeau de la douleur ; c’est à vous qu’est confiée le précieux dépôt : c’est vous qui devez présider aux destinées de ces tristes orphelins, de ces intéressantes victimes. Ah ! sans doute, vous étez bien digne de cette honorable confiance, et le sort de ces précieux enfants du malheur ne pouvait être confié à des mains plus pures : mais, hélas ! pouviez-vous échapper à la fureur des factions ? vos vertus touchantes et sublimes n’étaient-elles pas un titre suffisant à la proscription et à la mort ? Cette douloureuse pensée n’avait point échappé aux tristes pressentiments de la Reine, et cette cruelle conviction dut ajouter un grand poids à l’amertume de ses chagrins.
Mais quittons ce tableau déchirant, et suivons l’infortunée Marie-Antoinette au lieu redoutable où l’on doit décider de son sort. Contemplons cette scène terrible où l’auguste princesse déploya plus que jamais ce caractère sublime qui attache autant qu’il étonne : voyez avec quel calme, avec quelle dignité elle répond à ses accusateurs ; avec quelle présence d’esprit elle repousse leurs odieuses calomnies ; avec quel art elle évite, dans ses réponses, tout ce qui pourrait compromettre quelques serviteurs fidèles. Elle écarte avec une sagacité qui ferait honneur au plus habile légiste, toutes les questions insidieuses qui tendaient à envelopper d’autres infortunés dans sa disgrâce. Qui pourrait lire les pièces de ce célèbre procès, sans être pénétré d’admiration pour le caractère magnanime et les talents supérieurs que la Reine déploya dans ces terribles circonstances ? Le trouble et l’inquiétude ne la dominèrent pas un seul instant ; et ses réponses, faites avec autant de justesse que de précision, durent exciter un étonnement universel. Mais ce qui frappe, ce qui transporte, ce qui ravit, c’est cette réponse sublime, admirable, extraordinaire que lui dictèrent à la fois son coeur et son génie, lorsqu’on eut la coupable audace de lui faire l’interpellation la plus monstrueuse : « Je demande, s’écria-t-elle avec l’accent d’une noble et généreuse indignation, s’il est dans cette enceinte une seule mère de famille qui n’ait pas frémi, en entendant prononcer une pareille infamie. »
Mais que pouvaient les talents et le courage, ou même la vertu, contre ce courant destructeur, qui, dans ses affreux ravages, devait épouvanter la terre et les siècles futurs de ses horribles fureurs ? L’épouse de Louis XVI était destinée, comme lui, à recevoir la palme du martyre.
Augustes Enfants de France, que deviendrez-vous ? Nobles et intéressantes victimes, qui pourra désormais alléger vos souffrances, vous consoler dans vos douleurs ? qui pourra essuyer ces tristes larmes que votre cruelle destinée va vous forcer chaque jour à répandre ? qui cicatrisera ces plaies sanglantes qui, chaque jour, vont s’agrandir ? Hélas ! la dernière consolation, le dernier appui qui vous restent, vont vous être inhumainement ravis : vous ne verrez plus autour de vous que la destruction, le carnage et la mort. Quelle puissance protectrice pourra donc vous arracher de cet odieux séjour ? Que deviendra l’héritage de vos pères ? quel sera votre sort ? abandonnés de la nature entière, jetés au milieu des hommes, comme un voyageur au milieu d’une île déserte, vous serez les tristes jouets du sort le plus rigoureux. Passions affreuses, factions sanglantes ; dévorerez-vous jusqu’au dernier rejeton de l’illustre famille ? Est-ce donc ainsi que sera foulée, brisée, anéantie la fleur des lys à qui la France doit tant de siècles de jouissances, de bonheur et de gloire ? Déjà cette plante majestueuse se courbe languissamment ; un bouton précieux de cette auguste tige va se flétrir et disparaître sans retour : son existence a été mutilée par le souffle impur du plus cruel Aquilon. Qui protégera et sauvera les précieux restes qui échapperont à la faux meurtrière ? Dieu tout puissant, vous seul pouvez opérer cet éclatant phénomène ; vous seul pouvez recueillir et rétablir sur leur sol natal ces rameaux épars et dispersés ; vous seul pouvez assurer un abri tutélaire à cette fleur tendre et délicate, échappée, comme par miracle, aux secousses les plus violentes des vents les plus impétueux : sauvée sous l’égide de votre divine bonté, elle offrira un jour le spectacle le plus touchant et le plus admirable ; elle paraîtra au milieu de ce peuple naguère livré aux plus funestes égarements : sa présence sera celle de l’ange consolateur ; devant elle marcheront la paix, la concorde et le bonheur. Avec quel ravissement tout un peuple, ivre d’amour, de joie et d’espérance, contemplera cette heureuse production sur laquelle la nature s’est plu à verser ses dons les plus riches, et la Providence ses faveurs les plus signalées et les plus extraordinaires.
La dernière lettre de Sa Majesté la Reine > ici
Fac-similé des dernières lignes écrites de sa main > ici
Vous pouvez laisser une réponse.
Admirable éloge funèbre de la Reine Marie-Antoinette.
Toujours passionnant, ce blog!
Qui aurait pu trouver cette oraison funèbre sans Maître-Chat Lully ?
Merci à lui.