2012-17. De l’anniversaire de la Constitution Apostolique Veterum Sapientia sur l’enseignement de la langue latine et son maintien dans la liturgie et les études cléricales.
22 février,
Fête de la chaire de Saint Pierre à Antioche ;
Mémoire de Sainte Marguerite de Cortone.
Le 22 février 1962, à l’occasion de la fête de la Chaire de Saint Pierre (en 1962, il n’y avait plus qu’une seule fête de la chaire de Saint Pierre), le Pape Jean XXIII signa et promulgua une Constitution Apostolique intitulée Veterum Sapientia (texte > ici), concernant l’enseignement du latin et son maintien ferme dans la liturgie et dans l’enseignement, tout spécialement dans les études cléricales.
Il est à noter que, à moins de huit mois de l’ouverture des travaux du second concile du Vatican, Jean XXIII voulut donner un éclat particulier à la signature de cette Constitution Apostolique, puisque elle n’eut pas lieu dans son bureau, ni même dans l’une des pièces les plus prestigieuses du Palais Apostolique, mais dans la Basilique Saint-Pierre elle-même, au cours d’une cérémonie qui revêtit une solennité inaccoutumée pour ce genre de signature.
Basilique Vaticane : reliquaire de la Chaire de Saint Pierre (Le Bernin)
Le cinquantième anniversaire de cette Constitution Apostolique n’a pas donné lieu, en France, à un foisonnement de publications, mis à part le rappel judicieux de cet anniversaire par Riposte Catholique (cf. > ici).
La curieuse mémoire sélective des instances officielles de l’ « Eglise de France » a retenu de célébrer – jusqu’à plus soif – le cinquantième anniversaire de l’ouverture du second concile du Vatican, et nous vaut déjà d’abondants publications et commentaires, mais oublie de célébrer le cinquantième anniversaire de la promulgation d’un texte officiel, qui a toujours force de loi (puisque, à ma connaissance, il n’a jamais été abrogé) et qui, de toute évidence – par la volonté même du Pontife qui avait annoncé la convocation de ce concile et allait en présider la première session – , était une préparation importante à l’ouverture des travaux du dit concile.
Avec la souveraine liberté qui est le privilège donné par Dieu à tout chat (et aux chats des Souverains Pontifes eux-mêmes !), je me permets aujourd’hui quelques réflexions :
1) En premier lieu, vous avez peut-être remarqué que j’écris l’expression « Eglise de France » en italiques et entre guillemets.
En effet, cette expression me fait toujours un peu tiquer et, pour reprendre un verbe cher aux modernichons, elle « m’interpelle » : l’ « Eglise de France » est-elle donc une réalité différente et séparée de l’Eglise Catholique Romaine ?
Du point de vue de la constitution de l’Eglise, parler d’ « Eglise de France » a-t-il un sens ?
S’il y a bien des « évêques de l’Eglise Catholique en France », a-t-on le droit de dire qu’il y a une « Eglise de France » ?
Dans l’ordre normal des choses, dans l’ordre catholique des choses, il y a, sur le territoire d’une entité géo-politique précise – que nous appelons la France – , des évêques et des diocèses de l’Eglise Catholique Romaine. Ces évêques sont légitimement réunis dans ce que l’on appelle la « conférence épiscopale », mais ils ne peuvent en aucune manière constituer l’ « Eglise de France » ni même l’ « Eglise Catholique de France », comme s’il s’agissait d’une Eglise à part, Eglise plus ou moins indépendante, Eglise plus ou moins autocéphale… à moins qu’elle ne soit à proprement parler schismatique !
2) Ma deuxième remarque, porte sur la nature de ce texte : une Constitution Apostolique, ce n’est pas n’importe quoi !
Dans la hiérarchie des textes législatifs de l’Eglise Catholique Romaine, une Constitution Apostolique se situe pratiquement au sommet de la pyramide : ce n’est pas un « rescrit », ce n’est pas une « lettre apostolique », ce n’est pas une « encyclique », ce n’est pas un « motu proprio », c’est un texte qui a une autorité encore supérieure. Une Constitution Apostolique est une loi que le Pape promulgue pour toute l’Eglise en vertu de son autorité de pasteur universel.
Les constitutions apostoliques sont toujours rédigées en latin et sont habituellement revêtues du grand sceau pontifical. Elles commencent toutes par une formule caractéristique : vient d’abord le prénom du Pape, suivi de la mention « pape » (PP.) ou « évêque » (episcopus) – parfois avec son numéro d’ordre – , la deuxième ligne porte la mention « serviteur des serviteurs de Dieu » (servus servorum Dei), en usage depuis Saint Grégoire le Grand, et enfin vient une formule qui est le plus souvent « pour mémoire éternelle » (ad perpetuam rei memoriam).
Ainsi donc, à moins d’être explicitement rapportée ou modifiée postérieurement par une autre Constitution Apostolique, ce qui est promulgué par ce type de document oblige les pasteurs et les fidèles de l’Eglise Catholique.
La Constitution Apostolique Veterum Sapientia n’ayant pas été abrogée, elle a toujours force de loi dans l’Eglise Catholique.
3) Ma troisième réflexion est en tous points conforme à ce que faisait remarquer le blogue « Summorum Pontificum » (< cliquer sur ce lien) ce pourquoi je n’ai pas mieux à faire que le citer :
»Comme beaucoup de textes conformes à la Tradition de l’Église, celui-ci devait être enterré très vite, l’autorité ne mettant rien en œuvre pour qu’il entre dans les faits et les épiscopats nationaux ne lui donnant aucun écho ou presque. La destinée de cette Constitution Apostolique montre, s’il en était besoin, que ce qui manque le plus, ce ne sont pas les textes, mais le courage et la volonté politique de les faire passer dans les faits. Et qu’il manque également un épiscopat prêt à appliquer les textes que l’on publie. On en est loin du compte, même aujourd’hui. À part les séminaires traditionnels, quels sont les séminaires français qui appliquent cette constitution apostolique d’un pape dont certains se réclament sans cesse au nom du Concile ? »
C’est moi qui ait mis en gras les passages qui me paraissent les plus importants dans cette citation.
J’ajoute ici qu’il est pour le moins curieux, que tout comme pour un certain nombre d’autres textes officiels dont la portée juridique est universelle (c’est en particulier le cas du motu proprio Summorum Pontificum!), sur le site du Saint-Siège, le texte de la Constitution Apostolique Veterum Sapientia n’est mis en ligne que dans sa version officielle, le texte latin, accompagné de sa traduction dans une seule langue vernaculaire, l’espagnol ! (> ici).
J’en connais évidemment qui vont ironiser en me disant : « Puisque vous tenez tant à la langue latine, ça ne doit donc pas poser un problème pour vous ! » Néanmoins, pour des raisons évidentes, il semblerait pour le moins normal que le Saint-Siège présente aussi au minimum les versions italienne, portugaise, allemande, anglaise et française de ce grand texte !!!
4) Mon quatrième et dernier point (pour aujourd’hui du moins) est une autre citation.
Dans l’Osservatore Romano en langue française et disponible sur Internet, sont en ce jour publiés des extraits de l’une des interventions prononcées au cours du congrès du 23 février 2012 organisé par le Pontificium Istitutum Altioris Latinitatis, à l’Université Pontificale Salésienne (Rome), congrès qui était justement consacré au cinquantième anniversaire de la Constitution Apostolique Veterum sapientia.
Cet article est intitulé en gros caractères : « Pourquoi les prêtres doivent étudier le latin », et il est précédé de cet exergue, extrait de l’article : « L’importance de retrouver sans intermédiaire un héritage culturel extraordinairement riche ».
Voici donc la reproduction de cet article :
»La deuxième moitié du XXe siècle a marqué — et pas seulement au niveau ecclésial — une ligne de division dans l’histoire de l’usage de la langue latine. Disparue depuis déjà des siècles comme instrument de la communication érudite, elle a résisté à l’école, comme matière d’étude dans les programmes éducatifs de niveau secondaire supérieur, et, dans l’Eglise catholique, en général, comme moyen d’expression de la liturgie et véhicule de transmission des contenus de la foi et d’un vaste patrimoine littéraire, qui va de la spéculation théo-philosophique au droit, de la mystique et de l’hagiographie aux traités sur les arts, à la musique et même au sciences exactes et aux sciences naturelles.
Mais avec le temps, tout au moins sous le profil de sa diffusion, la langue latine a fini par devenir, en majeure partie, l’apanage toujours plus caractéristique de la formation cléricale dans l’Eglise catholique, au point de donner naissance à une identification spontanée, peut-être tout autant qu’inappropriée, entre l’Eglise Romaine et l’entité linguistique latine, qui dans celle-ci a trouvé, en cette phase critique, une vigueur tout au moins apparente.
«Apparente» car, si l’on considère a posteriori les circonstances actuelles, tout laisserait penser que la voix du bienheureux Jean XXIII, qui s’adressait le 7 septembre 1959 à un congrès d’amateurs de langue latine, non seulement n’a pas été écoutée, mais que la question de l’usage et de l’enseignement même de la langue latine, également dans le contexte ecclésial, se trouvait déjà probablement sur la voie d’une diminution radicale. «Malheureusement de nombreuses personnes, exagérément séduites par le progrès extraordinaire des sciences, ont la présomption de rejeter ou de limiter l’étude du latin et d’autres disciplines de ce genre».
Toutefois, malgré les difficultés, on rencontre aujourd’hui chez les prêtres la conviction que le but de l’initiation au latin est celui d’approcher une civilisation et d’en mesurer les valeurs, les intérêts et les significations, en évaluant ses enseignements et ses fondements théorétiques dans la perspective d’une compréhension critique du présent. Il s’agit d’un signal décidément encourageant du monde et de l’Eglise contemporaine, décidée à ne pas observer la leçon et l’étude du passé comme un regard superflu ou rétrograde visant inutilement à récupérer quelque chose de disparu, mais comme une réappropriation, directe et sans intermédiation, d’un message d’une extraordinaire richesse culturelle et pédagogique, d’un héritage intellectuel trop vaste, fécond et enraciné pour qu’on puisse imaginer une coupure quelconque de ses racines.
A l’état actuel, il apparaît improbable que l’on réussisse à faire apprécier au prêtre, encore moins dans la phase intiale de son parcours de formation, la valeur du latin comme une langue dotée d’une noblesse de structure et de lexique, capable de promouvoir un style concis, riche, harmonieux, plein de majesté et de dignité, qui soit bénéfique à la clarté et à la gravité, apte à promouvoir toute forme de culture, l’humanitas cultus, entre les peuples.
C’est dans ce recouvrement d’une identité culturelle propre, dans cette reprise à partir de la base des motivations de la présence même de l’Eglise dans la société que se configure l’importance du latin dans le curriculum scolaire des aspirants à la prêtrise, en la libérant de toute remise en cause simpliste — ainsi qu’incorrecte et réductrice — sur sa fonctionnalité pratique et en réhabilitant son rôle de matière largement formatrice.
C’est dans cette perspective que Paul VI, dans le Motu Proprio Studia latinitatis — avec lequel il instituait l’Institut Pontifical Supérieur de Latinité au sein de l’Université Pontificale Salésienne — réaffirmait avec décision, au début même du texte, le lien étroit entre l’étude de la langue latine et la formation au sacerdoce, réaffirmant le caractère inéluctable d’une non exigua scientia du latin. »
Pour terminer mes réflexions de ce jour, je ne puis donc que vous encourager tous, clercs et laïcs, à porter une amoureuse attention au latin, qui est véritablement la langue maternelle de tous ceux qui reconnaissent pour Mère, dans l’ordre de la grâce et de la vie spirituelle, la Sainte Eglise Catholique Romaine.
Vous pouvez laisser une réponse.
Il est vrai qu’il faudrait apprendre le latin pour en comprendre le sens.
Je reconnais comme une carence très grave dans ma vie de prêtre ce manque de formation à la langue latine. Elle ne m’empêche pas de célébrer selon la forme extraordinaire, mais elle me limite considérablement dans la compréhension des prières et textes, m’obligeant à utiliser une traduction.
Merci pour votre intervention sur ce cinquantième anniversaire de cette Constitution.
Travail toujours très fourni!
L’Esprit, l’Esprit, l’Esprit, et tout commence!