2012-13. Vous avez dit bissextile ?

24 février,
sixième jour avant les calendes de mars.

       Vous le savez, certaines années (habituellement tous les quatre ans… mais pas toujours : nous l’expliquerons ci-dessous) sont dites bissextiles : ce sont des années qui comptent 366 jours au lieu de 365, et c’est ce mois de février qui compte un jour de plus qu’à l’accoutumée.

A – Pourquoi une année bissextile ?

   La Terre tourne autour du Soleil en 365 jours, 5 heures, 48 minutes et 45 secondes, c’est ce que l’on appelle l’année tropique.
C’est bien justement de là que vient « le » problème : La durée de l’année tropique ne constitue pas un nombre entier alors que l’année civile, elle, a un compte rond : 365 jours.
Ainsi une année de 365 jours est trop courte alors qu’une année de 366 jours est trop longue. L’année de 365 jours décale le début des saisons d’un jour tous les quatre ans et, au bout du compte, d’une année entière tous les 1500 ans !
L’institution des années bissextiles a donc été motivée par la volonté de ramener le début des saisons aux mêmes dates que celles du calendrier.
Pour cela, il faut que la moyenne des années du calendrier soit la plus proche possible de l’année tropique (l’année tropique = 365,2422 jours). La journée supplémentaire ajoutée au calendrier permet donc de combler le retard de presque un quart de jour pris chaque année.
Comme nous allons le voir ci-dessous, c’est Jules César qui institua les années bissextiles.

2012-13. Vous avez dit bissextile ? dans Chronique de Lully horloge_astronomique-abbatiale-saint-jean-lyon-300x205

Lyon, Primatiale Saint-Jean : cadran de l’horloge astronomique.

B – Le calendrier julien.

   Notre calendrier nous vient de l’ancienne Rome.
Au départ, les anciens Romains, comme beaucoup de civilisations anciennes, avaient un calendrier lunaire, dit calendrier de Numa Pompilius (du nom du deuxième roi de Rome). Les années lunaires y comptent 355 jours : douze mois de 29 jours.

   Mais cette manière de compter le temps présente un désavantage évident : chaque année il y a un décalage d’un peu plus de dix jours avec le cycle solaire et progressivement les mois sont décalés par rapport aux saisons.
Pour combler le décalage, les anciens Romains avaient donc un système de « mois supplémentaire », dont la durée était variable. Ce mois supplémentaire permettait de recaler les mois lunaires sur le cycle des saisons.

   En 46-45 avant Jésus-Christ, Jules César, qui n’était pas seulement dictateur (au sens latin du terme) mais aussi grand pontife de la République Romaine fit appel à l’astronome grec Sosigène d’Alexandrie afin de remédier au décalage trop important que l’on constatait entre les années solaire et civile.
Ainsi fut créée l’année de 365 jours avec, tous les quatre ans, l’ajout d’une journée supplémentaire. De là le nom de calendrier julien (= de Jules).

   L’année julienne commençait le 1er mars (mois de la première saison : le printemps). C’est la raison pour laquelle les noms actuels de nos mois ne correspondent plus à leur numérotation selon leur place dans une année civile qui commence désormais au 1er janvier : septembre était le septième mois, octobre le huitième, novembre le neuvième et décembre le dixième…

C – Le jour intercalaire de Jules.

   L’année julienne est donc divisée en douze mois de 30 ou 31 jours, sauf pour le dernier mois de l’année – février – qui en contient 28 ou 29 : trois années communes de 365 jours sont suivies d’une année bissextile de 366 jours. C’était donc à la fin de l’année civile que se plaçait le réajustement sur le cycle solaire.

   Or, pour ne pas heurter certaines traditions populaires tenaces, Jules César ne voulut pas que ce soit après le dernier jour de l’année « ordinaire » que fût ajouté ce jour supplémentaire.
Si l’on transpose dans notre manière actuelle de compter, il n’a pas ajouté un « 29 février » : les années bissextiles romaines se terminaient toujours par le « 28 février » !
En effet il lui apparut préférable de « doubler » le vingt-quatrième jour de février. Les années bissextiles, originellement (et selon notre manière actuelle courante de compter) ne sont pas des années où il y a un 29 février mais des années où un jour intercalaire est ajouté entre le 24 et le 25 février : il y a donc deux 24 février, ou plus exactement il y a un 24 février bis !

200px-Julius_Caesar_Coustou_Louvre_MR1798-157x300 année tropique dans Commentaires d'actualité & humeurs

Nicolas Coustou : Jules César (musée du Louvre)

D – D’où vient le mot « bissextile »?

    Pourquoi donc ce nom curieux – « bissextile » – donné à ces années de 366 jours ?

   Les Romains, encore eux, ne désignaient pas les dates de la même façon que nous. A l’intérieur du mois, les jours étaient numérotés en fonction de trois dates repères : les calendes, les nones et les ides (les calendes c’est le nom du premier jour du mois (*), les nones sont le 5 ou le 7 selon les mois, et les ides le 13 ou le 15 selon les mois).
A partir de ces jours repères, il faut alors procéder à un compte à rebours, mais – contrairement à notre logique moderne – on comptabilise le jour repère comme le premier avant lui-même !

   Ainsi, le 1er mars, est le jour des calendes de mars… et les derniers jours de février sont : le 28 février = la veille des calendes de mars (en latin : « pridie ») ; le 27 février = le troisième jour avant les calendes de mars ; le 26 février = le quatrième jour avant les calendes de mars ; le 25 février = le cinquième jour avant les calendes de mars, et le 24 février = le sixième jour avant les calendes de mars.
En latin, le 24 février s’écrit : «  a. d. VI Kal. Mart. »,  et se dit « ante diem sextum Kalendas Martii ».
Or quand il s’agit d’une année de 366 jours où, avons-nous dit, le jour supplémentaire est intercalé entre le 24 et le 25 février, le « 24 février bis » s’écrit donc tout naturellement : « a. d. bis VI Kal. Mart. », et se dit : « ante diem bis sextum Kalendas Martii » = « le sixième jour bis avant les calendes de mars ».
M’avez-vous bien suivi ?
Hé bien, c’est ce « bis sextum », auquel fut ajouté le suffixe « -ilis » qui a formé l’adjectif latin « bissextilis » = qui a deux fois un sixième jour (sous entendu : « avant les calendes de mars »), d’où vient directement notre mot « bissextile ».

   Ce n’est que bien plus tard que le jour supplémentaire fut compté comme étant le 29 du mois de février, lorsque la méthode de décompte des jours latine fut remplacée par celle actuellement en vigueur.
Mais il faut noter que, selon le martyrologe romain traditionnel, la liturgie conserve cette manière antique de calculer les fêtes et donc, quand il y a une année bissextile, les fêtes qui tombent habituellement les 24, 25, 26, 27 et 28 février se trouvent décalées au jour suivant : ainsi, lors des années bissextiles, la fête de l’apôtre Saint Mathias par exemple n’est pas le 24 février mais le 25, et, autre exemple, dans notre diocèse de Viviers, la fête de la dédicace de la cathédrale Saint-Vincent n’est pas célébrée le 27 mais le 28 février.

grégoire-XIII-294x300 bissextile dans Lectures & relectures

Monument de Grégoire XIII dans la basilique Vaticane.

E – Le calendrier grégorien.

   Je l’ai déjà dit mais je le répète, la longueur précise de l’année terrestre est de 365,2422 jours.
Le calendrier julien, lui, a en réalité une année moyenne de 365,25 jours.
Au bout d’un certain temps, cela finit tout de même par produire un décalage : une dizaine de jours de retard en quinze siècles !

   Ce retard fut corrigé par l’instauration du calendrier grégorien : en 1582, le Pape Grégoire XIII (c’est à son nom que se réfère ici l’adjectif grégorien) décida de réformer le calendrier parce que l’équinoxe de printemps en était arrivé à se trouver à la date du 11 mars !

   Cela posait en particulier un problème pour le calcul de la date de Pâques (dans l’Eglise latine, la date de la fête de Pâques est calculée par rapport à un équinoxe de printemps fixé au 21 mars). Il y avait donc un décalage de 10 jours entre le calendrier julien et le début du printemps.
La réforme grégorienne du calendrier fut promulguée pour combler cet écart et l’éviter à l’avenir.
L’année 1582 fut diminuée de 10 jours : cette année-là, par décret du Souverain Pontife, on passa directement du jeudi 4 octobre au vendredi 15 octobre (c’est ainsi que Sainte Thérèse d’Avila mourut dans la nuit du 4 au 15 octobre 1582) !
Les royaumes catholiques en Italie et dans la péninsule ibérique adoptèrent cette réforme tout de suite. En France, le changement de calendrier ne se fit qu’au mois de décembre 1582 (on est passé du 9 au 20 décembre 1582) ; les pays de confession protestante tarderont à l’adopter (en Angleterre ce ne fut qu’en 1752 et l’on passa donc du 2 au 14 septembre 1752, car l’écart entre les calendriers avait atteint 11 jours), le baptisant « calendrier julien réformé ».
Le calendrier julien, quant à lui, est toujours utilisé par une partie des Eglises d’Orient dans le calcul des fêtes religieuses. 

   La règle d’intercalation des années bissextiles fut modifiée pour supprimer trois années bissextiles tous les quatre siècles. Ainsi, les années bissextiles restent les mêmes que celles du calendrier julien, sauf trois années séculaires sur quatre, celles dont le millésime est multiple de 100 sans l’être de 400 : les années 1700, 1800, 1900 furent des années communes alors que l’an 2000 a été bissextile.
Par la réforme grégorienne, le décalage entre l’année civile et l’année tropique n’est plus que de 3 jours en 10 000 ans !

En résumé : depuis l’instauration du calendrier grégorien >

1. Régle générale : les années divisibles par 4 sont bissextiles, pas les autres.
2. Exception : les années divisibles par 100 ne sont pas bissextiles.
3. Exception à l’exception : les années divisibles par 400 sont bissextiles.  

   Ainsi, l’an 2000 fut bissextile grâce à la règle 3, alors que l’année 1900 n’était pas bissextile à cause de la règle 2.
Le calendrier julien qui était en cours avant le calendrier grégorien ne connaissait que la première règle.

Lully.

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La « constellation » du chat.

(*) Nota : Comme les grecs n’utilisaient pas le même système que les Romains pour désigner les jours, ils ne parlaient pas des calendes. De là vient l’expression « remettre (quelque chose) aux calendes grecques » : les calendes grecques n’existant pas, l’expression signifie repousser une chose à une date indéterminée.

Vous pouvez laisser une réponse.

9 Commentaires Commenter.

  1. le 24 février 2024 à 7 h 13 min Thizy écrit:

    Merci, cher Lully, pour ces explications : je connaissais en gros mais pas le détail.
    Merci.

  2. le 23 février 2024 à 22 h 52 min Goës écrit:

    Quelle érudition !

  3. le 24 février 2016 à 3 h 20 min Schola Sainte Cécile écrit:

    Merci cher Lully, pour ces explications lumineuses !

    Petite addition si je puis me permettre : le calendrier julien est aussi utilisé par certaines Eglises catholiques de rits orientaux et – depuis quelques années et par décision du pape Benoît XVI – par tous les catholiques de Syrie, Palestine et Egypte quel que soit leur rit (y compris latin) pour le cycle pascal.

  4. le 25 février 2012 à 16 h 44 min Annelise P.Z. écrit:

    Très bien, votre explication, et très compréhensible !

  5. le 25 février 2012 à 8 h 55 min Dominique L. écrit:

    Quelle démonstration époustouflante!
    Si on savait chaque fois ce qui peut se cacher derrière un mot, on en serait certainement très étonné …
    Merci pour cette explication très technique.
    Amitiés.

  6. le 24 février 2012 à 11 h 01 min Roland C. écrit:

    Félicitations pour l’érudition du Maître-Chat Lully.
    Moi aussi, je connaissais vaguement l’histoire du calendrier julien, mais bravo pour l’explication lumineuse que vous nous donnez des années bissextiles.

  7. le 23 février 2012 à 17 h 32 min Abbé Jean-Louis D. écrit:

    Quel puits de science!
    Merci pour toutes ces explications assez compliquées, très intéressantes et dont on retient l’essentiel : il existe une année bissextile et pas d’année trisextile. CQFD.
    Bon carême et bonnes calendes!

    P.S.: J’aurais plaisir à discerner dans le ciel étoilé la « constellation » du chat.

    Réponse de Lully:

    La « constellation » du Chat (en latin : Felis) n’est plus retenue aujourd’hui dans la liste des constellations : elle avait été proposée par l’astronome français Joseph-Jérôme Lefrançois de Lalande (1732-1807) à partir d’étoiles à la jonction de l’Hydre Femelle et de la Machine
    Pneumatique, et on la trouve représentée sur des cartes du ciel du XIXe siècle.
    A la fin du 18e siècle et au cours du 19e, en effet, on avait assisté à une multiplication d’astérismes auxquels on avait donné des noms tantôt en l’honneur de monarques ou de protecteurs, tantôt en rapport avec les goûts ou les fantaisies de leurs « découvreurs ».
    L’Union Astronomique Internationale intervint et statua une liste de 88 constellations officielles limitées par des arcs de parallèles et de méridiens. Dans cette opération, la « constellation » du Chat passa à la trappe avec un certain nombre d’autres figures secondaires!

  8. le 23 février 2012 à 17 h 24 min MV écrit:

    Eh bien là, je suis « baba ». Quelle érudition!
    Merci, cher Frère.
    Je connaissais en gros (très gros) l’histoire du calendrier julien, du calendrier grégorien, ainsi que le système des années bissextiles. Je connaissais même les règles 1 et 2, mais pas la 3. Et j’aurais été bien incapable d’expliquer à quelqu’un toutes ces finesses.
    Merci encore, cher Frère.
    MV

  9. le 23 février 2012 à 16 h 42 min Henryk écrit:

    Comme la terre grossit, quand sera placé le trisextile?

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