2012-12. A la veille du grand carême, méditation sur la Magdeleine repentante de Georges de La Tour.
Georges de La Tour – la Magdeleine repentante
Point d’auréole, point d’extase, aucune emphase : juste cette femme, assise à une table, la tête appuyée sur la main droite, tandis que de la gauche elle semble caresser un crâne.
Toute la scène, noyée d’obscurité, n’est éclairée que par une chandelle que l’on devine derrière le crâne.
Devant elle, un miroir dans lequel se reflète le crâne : la femme ne regarde pas le crâne lui-même, mais ses yeux sont rivés sur son reflet dans le miroir.
Toutefois, c’est plus encore à l’intérieur d’elle-même qu’elle donne l’impression de regarder…
Cette toile de Georges de La Tour appartient à la série des « Magdeleine » : il y a les deux « Magdeleine à la veilleuse » (l’une au Louvre et l’autre à Los Angeles), la « Magdeleine pénitente » (au Musée Métropolitain de New York) et cette « Magdeleine repentante » (datée des années 1635-1640, probablement la plus ancienne de la série, actuellement conservée à la Galerie Nationale d’Art de Washington).
J’ignore si le titre attribué à cette oeuvre remonte à l’artiste lui-même ou s’il lui a été donné postérieurement, cependant, pour ce qui me concerne, je l’eusse plus volontiers appelée « Magdeleine pensive ».
L’enseignement délivré par cette oeuvre est simple : c’est une sorte de Memento mori (« Souviens-toi que tu vas mourir »). Sont ici représentés des éléments de ces « vanités » prisées par l’époque baroque : le miroir, le crâne, la chandelle… Ce sont les symboles de la fugacité des bonheurs terrestres, de la fragilité de notre existence, de la précarité de la beauté.
Marie, dite Magdeleine – c’est-à-dire de Magdala : Magdala était une bourgade sur la rive du lac de Tibériade où Marie possédait un domaine – , avait été délivrée de sept démons par le Seigneur Jésus-Christ (cf. Luc. VIII, 2 ; la tradition spirituelle y voit les sept péchés capitaux alors que les amateurs d’histoires croustillantes n’ont voulu se souvenir que de la luxure). Elle s’attacha aux pas de Notre-Seigneur et le suivit jusqu’au Calvaire : ainsi peut-elle être considérée comme l’une de ses plus fidèles disciples. Présente au pied de la Croix et lors de la mise au tombeau (tandis que les Apôtres, hormis Saint Jean, avaient fui), elle est aussi la première au tombeau, le matin de Pâques, la première à laquelle les Saints Evangiles nous rapportent que le Ressuscité apparut, lui donnant mission de prévenir les Apôtres. De là le titre d’Apostola Apostolorum – Apôtre des Apôtres – qui lui est décerné. Après l’Ascension, la tradition nous rapporte qu’elle évangélisa la région de Marseille avant de se retirer à la Sainte Baume où elle vécut une trentaine d’années dans la contemplation.
Le tableau de La Tour semble nous placer à l’instant charnière où la Magdeleine, bouleversée par la rencontre du Christ Sauveur, abandonne sa vie de mondaine pour se mettre à la suite de Jésus.
Le livre évoque celui des Ecritures Sacrées, le crâne renvoie bien entendu à la mort : la Parole de Dieu et la compréhension de la vanité des plaisirs terrestres se sont frayé un chemin dans le coeur de la courtisane et l’ont mise en face des enjeux éternels dont la vie d’ici-bas n’est que le prélude.
Plus de bijoux ou de produits de beauté sur cette table qui, il n’y a pas si longtemps encore, était peut-être une coiffeuse.
La chevelure déliée, la chemise entrouverte laissant l’épaule nue ne sont plus les signes des provocations de la débauche, mais indiquent plutôt qu’il y eu un moment de tempête et d’agitation, maintenant calmé. L’attitude générale rayonne d’une détermination réfléchie, apaisée.
Le miroir, attribut par excellence de la coquetterie, n’est plus là pour refléter des parures et des poses aguichantes, mais intervient comme témoin d’une vérité salutaire : ce que Magdeleine contemple dans le miroir, ce n’est plus son propre visage, mais le reflet du crâne. Memento mori !
Regardons maintenant plus attentivement encore ce tableau ; une chose étonnante doit y être remarquée : alors que nous nous trouvons dans une position latérale par rapport à Marie-Magdeleine et par rapport au miroir – qui se font face – nous pouvons nous-mêmes voir le reflet du crâne dans la glace. Normalement, si nous voyons le crâne, Magdeleine ne le voit pas ; et si c’est elle qui le voit, c’est nous qui ne devrions pas le voir! Or la composition de l’oeuvre, avec en particulier le jeu du regard de la Magdeleine et du miroir ne laissent pas de place à l’hésitation : elle voit le crâne dans son miroir.
Car en fait l’artiste n’a pas peint la réalité telle qu’elle apparaîtrait sur une photographie : la manière dont il a représenté la scène traduit une intention. Ce que voit le spectateur dans le miroir, c’est aussi ce que voit la Magdeleine. Le spectateur est comme obligé par le peintre de se mettre à la place de la Magdeleine et à voir à travers son regard à elle.
Ce faisant, Georges de La Tour nous délivre un message particulièrement fort.
En effet, la figure évangélique de Marie-Magdeleine peut être comprise comme la représentante de l’humanité auprès du Christ : marquée par le péché, séduite par les vanités terrestres et se laissant entraîner par ses penchants désordonnés, elle est elle-aussi appelée à rencontrer le Sauveur, à être absoute de ses fautes, à Le suivre jusqu’au Calvaire afin d’avoir part à la joie de la vie nouvelle du Ressuscité!
Ainsi, à travers cette toile, Marie-Magdeleine engage-t-elle chacun de ceux qui regardent le tableau autrement que superficiellement à suivre son exemple. Nous devons, comme elle, abandonner les voies de la perdition, quitter les sentiers du péché et nous défier des faux semblants puisque le miroir, en définitive, dit toujours la vérité : à celui qui ne s’arrête pas à la surface des choses, il renvoie l’image de la mort.
Memento, homo, quia pulvis es et in pulverem reverteris : souviens-toi, ô homme, que tu es poussière et que tu retourneras en poussière!
Pour mieux connaître la figure de Sainte Marie-Magdeleine > ici.
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Quel superbe tableau, et quelle brillante analyse…
Belle interprétation de ce tableau! Une image et le texte qui nous sont offerts nous aideront à entrer dans ce carême
Superbe texte. Merci.
Malgré la légèreté que je dois donner, je méditerai ce texte au côté d’Audrey. Et même si le chagrin me ronge chaque jour, je reste dans l’espérance…
C’est la première fois que je médite à partir d’un tableau…
Il faut dire que je ne suis pas très artiste.
Merci au Maître Chat!
L’un de mes peintres préférés… et quel commentaire!
Je suis comblé!
Sainte Marie-Magdeleine, vous qui avez vécu avec tant de conviction, de détermination et de ferveur ce chemin de conversion, pour suivre sans plus jamais les quitter les pas de Notre Seigneur, et qui avez connu la joie de la première rencontre avec le Christ Ressuscité, intercédez pour nous, qui sommes si faibles et timorés, si changeants et si prompts au doute…
Puisse-t-il nous être accordé un surcroît de courage et de persévérance, en ce Carême qui s’ouvre devant nous, et au cours duquel nous voulons, de tout notre coeur, de tout notre esprit, nous détacher des futilités de ce monde, pour demeurer toujours et profondément unis, à votre exemple, à Jésus Christ que vous avez tant aimé !