2011-93. Histoire de la dévotion à la Crèche.
Le 24 décembre au coucher du soleil, avec les premières vêpres de la fête de la Nativité, nous entrons dans le temps de la Crèche.
Comme plusieurs personnes m’ont posé des questions sur le sens et l’origine de la crèche, je vais m’efforcer d’y répondre ici d’une manière générale et aussi complète que possible.
I. Le mot crèche.
Le mot français crèche, selon le « Dictionnaire historique de la langue française Robert », apparaît au XIIe siècle et dérive du francique « krippia ». C’est un radical germanique – en Allemand moderne, crèche se dit « Krippe » – que l’on retrouve en anglais « crib » (berceau) ou en néerlandais « kribbe » (mangeoire).
En latin, la crèche est désignée par les mots « praesepe, -is (n) » et « praesepium, -ii (n) » ou encore « praesepes, -is (f) » dont le sens premier est l’enclos pour les animaux, puis l’étable et enfin la mangeoire des animaux. Du latin vient le mot italien « presepe ».
A partir du début du XIIIe siècle, le mot français « crèche » va désigner spécifiquement la mangeoire dans laquelle le Christ a été déposé à sa naissance dans l’étable de Bethléem. En ce sens, le mot s’écrit habituellement avec une majuscule.
C’est avec Chateaubriand, en 1803, qu’il s’est mis à désigner, par métonymie, la représentation de la scène de la Nativité que l’on fait, en trois dimensions, dans les églises au temps de Noël.
La représentation de la Crèche n’est ni plus ni moins qu’une manière d’honorer le mystère de l’Incarnation du Verbe de Dieu en vue de notre salut.
Le récit évangélique qui nous raconte comment Notre-Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, est né dans une pauvre étable et y a été adoré, a donc inspiré la piété des fidèles de très bonne heure. La dévotion, en se développant, a tout naturellement entraîné les artistes à la représentation du mystère.
II. Les plus anciennes représentations.
La plus ancienne représentation en rapport avec les Evangiles de l’Enfance du Christ, actuellement connue, est une peinture des catacombes de Priscille, à Rome et représente l’adoration des Mages : ceux-ci, au nombre de trois, et dans les mains desquels on distingue des présents, arrivent devant une Vierge assise dans une attitude assez majestueuse et portant l’Enfant Jésus sur son bras gauche.
Cette peinture pourrait avoir été exécutée vers l’an 180 :
Une autre peinture des catacombes de Priscille, postérieure de quelques années à l’adoration des Mages et quoique fort endommagée, nous montre la Vierge Marie, tenant l’Enfant Jésus dans ses bras (peut-être est-elle en train de l’allaiter ?), tandis que, sur la gauche, un personnage que l’on identifie comme un prophète (Balaam ? Isaïe ?) montre avec l’index de sa main droite une étoile au-dessus de la tête de la Vierge.
Cette peinture-ci aurait été exécutée vers l’an 210 :
Quelque deux siècles plus tard, on retrouve la scène de l’adoration des Mages sculptée sur des sarcophages.
L’une des plus anciennes parmi ces sculptures se trouve dans la crypte de la basilique de Saint-Maximin, en Provence :
Vous le voyez sur la photographie ci-dessus, sous une espèce d’auvent, l’Enfant Jésus est emmailloté, couché dans la mangeoire (laquelle ressemble à un coffre sculpté posé sur des tréteaux, mais peut aussi déjà figurer – comme cela se fera plus tard – une espèce d’autel) ; l’âne et le boeuf sont présents ; l’étoile miraculeuse qui a guidé les Mages – au nombre de trois et reconnaissables à leurs bonnets orientaux – , est sculptée dans un cercle, à droite du petit toit ; la Vierge Marie est assise sur un siège à haut dossier, et la manière dont elle se tient le menton dans la main droite peut être interprétée comme une attitude de méditation, puisque l’Evangile nous dit qu’elle retenait tous ces événements et les méditait dans son coeur.
Ici, il convient de faire deux remarques :
1 – La première, c’est que lorsque les historiens de l’art nous parlent des « plus anciennes représentations », cela ne veut pas dire que la Nativité n’avait pas été représentée auparavant, mais seulement que, dans l’état actuel de nos connaissances, ces représentations sont les plus anciennes qui nous sont parvenues et qui peuvent être répertoriées. Cela ne signifie donc en aucune manière qu’il n’y en a pas eu d’autres antérieurement ou à la même époque et en plus grand nombre : les persécutions des premiers siècles, les destructions au fil des temps, ou simplement les dégradations dues à la fragilité des supports ou des matériaux de ces représentations sont suffisantes pour expliquer que l’on doive être prudent dans ces affirmations.
2 – La seconde, c’est que ces représentations du mystère de la Nativité sont figurées dans les catacombes ou sur des sarcophages, donc dans un contexte de mort et d’ensevelissement. Outre le fait que – comme nous l’écrivions précédemment – notre connaissance est parcellaire, on peut interpréter ces représentations dans ce contexte comme l’affirmation que la foi au Christ Sauveur – Dieu incarné annoncé par les prophètes d’Israël – est aussi offerte aux non Juifs et leur ouvre les portes du salut au-delà de la mort.
III. L’oratoire de la crèche à Sainte-Marie-Majeure.
La plus importante des anciennes basiliques romaines dédiée à la Sainte Mère de Dieu, Sainte-Marie-Majeure, porte aussi les noms de « Sancta Maria ad nives » (Sainte Marie aux neiges, en raison du miracle de la neige par lequel la Vierge Marie a elle-même désigné l’emplacement du sanctuaire qu’elle désirait qu’on lui édifiât) et de « Sancta Maria ad praesepe » , littéralement « Sainte Marie à la Crèche » ou, pour traduire de manière plus exacte encore, « Sainte Marie près de la Crèche ».
Cette expression est attestée à partir du pontificat de Théodore 1er (pape de 642 à 649) et devient fréquente ensuite.
Sainte-Marie-Majeure : mosaïque de l’adoration des Mages à l’arc triomphal (Ve siècle)
A partir des anciens documents, les historiens ont pu établir qu’il existait au VIIe siècle un oratoire, distinct de la basilique mais relié à elle, qui possédait une entrée propre et un autel spécial. Cet oratoire rappelait, par sa disposition, ou par ses reliques, la grotte de Bethléem.
A quelle époque cet oratoire avait-il été créé ?
On l’ignore.
Historiquement nous sommes certains qu’il existait à l’époque du Pape Théodore, ce qui n’exclut évidemment pas qu’il ait été antérieur.
Des érudits (je me contente de résumer les conclusions de leurs très savantes et minutieuses études) déduisent de certaines indications contenues dans le Liber Pontificalis et dans les anciens documents liturgiques, qu’au temps de Saint Grégoire le Grand (pape de 590 à 604), sous le pontificat duquel les trois messes de Noël sont bien attestées, la messe de la nuit de la Nativité était célébrée dans l’oratoire de la Crèche, annexe de Sainte-Marie-Majeure.
Certains pensent même que c’est au temps de Sixte III (pape de 432 à 440), auquel nous devons les extraordinaires mosaïques de l’arc triomphal dans lesquelles sont figurés les mystères de l’enfance du Sauveur, donc au début du Ve siècle, que l’on aurait matérialisé dans l’oratoire proche de la basilique une sorte de reproduction de la grotte et de la mangeoire de Bethléem, avec peut-être des éléments rapportés du lieu même de la Nativité. De même que la dévotion romaine avait « reproduit » Jérusalem dans le palais Sessorien de Sainte Hélène (maintenant la basilique Sainte-Croix en Jérusalem), elle aurait « reproduit » Bethléem à Sainte-Marie-Majeure.
Un plan du XVIe siècle retrouvé à Florence nous permet d’en situer l’emplacement exact, à une quinzaine de mètres de l’actuelle nef droite de la basilique.
De toute façon, c’est ce petit oratoire antique qui est à l’origine du nom de « Sancta Maria ad praesepe » donné à la basilique, et de la dévotion à la Crèche qui s’y perpétue.
Cet oratoire de la Crèche avait été profondément remanié au XIIIe siècle à la demande de Nicolas IV (pape de 1288 à 1292) par Arnolfo di Cambio, architecte et sculpteur florentin, qui réalisa pour cette chapelle la première Crèche – au sens où nous l’entendons aujourd’hui -, sculptée en pierre : il ne s’agit plus de peintures ou de fresques, ni de mosaïques ou de bas reliefs, mais de véritables statues « indépendantes » : il nous en reste Saint Joseph, l’âne et le boeuf à gauche, ainsi qu’un berger et deux mages à droite ; au centre, la Madone à l’Enfant est d’une facture plus moderne.
Crèche d’Arnolfo di Cambio à Sainte Marie-Majeure, Rome
Une description de cet oratoire de la Crèche, postérieure aux aménagements réalisés par Arnolfo di Cambio, nous montre qu’il comportait deux parties distinctes : une pièce rectangulaire dans laquelle se trouvait l’autel, et une petite niche ou absidiole dans laquelle se trouvait la représentation de la Crèche à proprement parler.
A la fin du XVIe siècle, Sixte Quint (pape de 1585 à 1590) ne demanda rien moins à l’architecte Fontana que de transporter l’oratoire quasi millénaire, tout entier – avec ses fondations et ses murs ! -, à l’intérieur du transept droit de la basilique qu’il venait de faire édifier.
Fontana a rédigé un rapport détaillé sur son travail, qu’il se vante d’avoir parfaitement réussi… Il est cependant certain qu’en dépit des puissantes chaînes dont il avait ceinturé l’ensemble, sa voûte ornée de mosaïques s’écroula, et que son dallage cosmatesque se disjoignit !
Bref ! malgré les allégations de Fontana, l’historien doit constater qu’il ne reste pas grand chose de l’oratoire originel de la Crèche, qui fut déposé sur des fondations nouvelles préparées à un niveau bien plus bas que celui du pavement de la basilique de manière à le transformer en un lieu souterrain.
Actuellement, lorsque l’on pénètre dans cette « chapelle Sixtine » de la basilique Sainte-Marie-Majeure, on aperçoit en dessous du grandiose autel du Saint-Sacrement, une petite crypte à laquelle on accède par un escalier (il est habituellement fermé par une grille : au cours de tous mes séjours à Rome je n’ai pu y descendre qu’une seule fois, dans les premiers jours de janvier 2001, juste avant la clôture du jubilé). Au bas de cet escalier, par un arc surbaissé, on entre dans ce qui subsiste de l’antique oratoire : l’autel y est encore celui du XIIIe siècle ; un petit déambulatoire imaginé par Fontana contourne l’oratoire et permet de passer dans l’absidiole où la Crèche d’Arnolfo di Cambio fut conservée jusque dans les premières années de notre XXIe siècle, car elle est désormais exposée dans le musée de la basilique.
IV. Les reliques du bois de la Crèche à Sainte-Marie-Majeure.
Reliquaire du bois du berceau de Notre-Seigneur
Rome, basilique de Sainte Marie-Majeure (Sainte Marie de la Crèche)
La dévotion envers l’oratoire de la Crèche (qui avait été très forte avant le XVIIIe siècle : saint Gaëtan de Thiene et Saint Ignace de Loyola par exemple y passaient de longs moments en prière et y vécurent des expériences mystiques) s’est aujourd’hui beaucoup estompée, quand elle n’a pas été totalement oubliée par les pèlerins, pour se reporter sur d’autres reliques, présentées dans un reliquaire de cristal et de bronze doré exposé dans la confession de la basilique Sainte-Marie-Majeure, au-dessous de l’autel papal : ces reliques de la Crèche, consistent en cinq pièces de bois vermoulu considérées comme des fragments de la Crèche-berceau de Notre-Seigneur.
Quel est le rapport entre la Crèche-étable et la Crèche-berceau ?
Quel lien y a-t-il entre la petite chapelle figurant la grotte de Bethléem et qui, sous le nom de Praesepe, existait près de Sainte-Marie-Majeure dès le VIe siècle, et ces quelques planches enfermées dans ce reliquaire ?
Il est difficile de répondre à la question.
On ne trouve pas de mention de ce bois de la Crèche avant le XIIe siècle. Il est très vraisemblable que ces reliques étaient là antérieurement, mais l’historien ne peut pas dire à quelle époque et par qui elles ont été apportées.
Jusqu’au tragique sac de Rome de 1527, les documents font état de deux sortes de reliques bien distinctes :
1) un tableau lamé d’or portant une inscription en caractères grecs et servant de reliquaire à un lange de l’Enfant Jésus ;
2) et cinq planches provenant de son rustique berceau.
Il semblerait qu’après l’épouvantable pillage perpétré par les mercenaires de Charles Quint, les ornements ayant été arrachés et les reliques jetées à terre en désordre, on ait renfermé dans le même reliquaire ce qu’on avait retrouvé des deux éléments susdits.
En effet, actuellement, deux des cinq planches conservées dans le reliquaire portent des lettres grecques et forment une inscription fragmentaire en rapport avec le lange disparu. Les trois autres morceaux, étudiés attentivement, peuvent provenir d’un pied en forme d’ X, apte à soutenir une mangeoire comme celles qui sont en usage en Orient encore aujourd’hui. Ce genre de crèches constitue fort bien un petit lit-berceau.
Saint Jérôme fait allusion (en le déplorant) au remplacement de la crèche d’argile par une crèche d’argent dans la basilique édifiée par Constantin à Bethléem : sur la base de ce témoignage, il est facile de se représenter une sorte d’auge en terre cuite posée sur des pieds en bois, dont la basilique de Sainte-Marie-Majeure aurait hérité de fragments.
Ces reliques de la Crèche se trouvaient-elles dans l’oratoire de la Crèche dont nous avons parlé ci-dessus ?
Ont-elles été apportées de Terre Sainte par le Pape Théodore (natif de Jérusalem) comme certains pieux auteurs le prétendent sans le prouver ?
Y étaient-elles auparavant ou bien sont elles venues entre le VIIe et le XIIe siècle ?
L’historien n’a aucun élément pour le dire.
Giotto (fresques de la vie de Saint François) : le Noël de Greccio.
V. La Crèche de Saint François d’Assise et son impact.
On entend parfois dire que c’est Saint François d’Assise qui aurait le premier imaginé de représenter la Crèche.
De tout ce que nous avons vu aux § II et III de cette étude, il ressort que c’est inexact : la représentation des scènes de la Nativité de Notre-Seigneur existait avant Saint François, sous forme de sculptures, de peintures ou de mosaïques.
Néanmoins on doit attribuer à Saint François la paternité de la première Crèche vivante de l’histoire puis, indirectement, des Crèches en trois dimensions que l’on présente dans les églises au temps de Noël.
L’histoire nous a été rapportée par Thomas de Celano, dans la vie de Saint François qu’il rédige en 1232, c’est-à-dire six ans après la mort du Poverello et 9 ans après l’événement qui nous intéresse, donc en un temps où vivaient de nombreux témoins des faits rapportés :
»…Je veux conserver pieusement le souvenir de ce qu’il fit à Greccio un jour de Noël, trois ans avant sa mort. Il y avait dans cette province un homme appelé Jean, de bonne renommée, de vie meilleure encore, et le bienheureux François l’aimait beaucoup parce que, malgré son haut lignage et ses importantes charges, il n’accordait aucune valeur à la noblesse du sang et désirait acquérir celle de l’âme. Une quinzaine de jours avant Noël, François le fit appeler comme il le faisait souvent. « Si tu veux bien, lui dit-il, célébrons à Greccio la prochaine fête du Seigneur ; pars dès maintenant et occupe-toi des préparatifs que je vais t’indiquer. Je veux évoquer en effet le souvenir de l’Enfant qui naquit à Bethléem et de tous les désagréments qu’il endura dès son enfance ; je veux le voir, de mes yeux de chair , tel qu’il était, couché dans une mangeoire et dormant sur le foin, entre un boeuf et un âne .» L’ami fidèle courut en toute hâte préparer au village en question ce qu’avait demandé le saint.
Le jour de joie arriva, le temps de l’allégresse commença. On convoqua les frères de plusieurs couvents des environs. Hommes et femmes, les gens du pays, l’âme en fête, préparèrent, chacun selon ses possibilités, des torches et des cierges pour rendre lumineuse cette nuit qui vit se lever l’Astre étincelant éclairant tous les siècles. En arrivant, le saint vit que tout était prêt et se réjouit fort. On avait apporté une mangeoire et du foin, on avait amené un âne et un boeuf. Là vraiment la simplicité était à l’honneur, c’était le triomphe de la pauvreté, la meilleure leçon d’humilité ; Greccio était devenu un nouveau Bethléem. La nuit se fit aussi lumineuse que le jour et aussi délicieuse pour les animaux que pour les hommes. Les foules accoururent, et le renouvellement du mystère renouvela leurs motifs de joie. Les bois retentissaient de chants, et les montagnes en répercutaient les joyeux échos. Les frères chantaient les louanges du Seigneur, et toute la nuit se passa dans la joie. Le saint passa la veillée debout devant la crèche, brisé de compassion, rempli d’une indicible joie. Enfin l’on célébra la messe sur la mangeoire comme autel, et le prêtre qui célébra ressentit une piété jamais éprouvée jusqu’alors.
François revêtit la dalmatique, car il était diacre , et chanta l’Evangile d’une voix sonore. Sa voix vibrante et douce, claire et sonore, invitait tous les assistants aux plus hautes joies. Il prêcha ensuite au peuple et trouva des mots doux comme le miel pour parler de la naissance du pauvre Roi et de la petite ville de Bethléem. Parlant du Christ Jésus, il l’appelait avec beaucoup de tendresse « l’enfant de Bethléem », et il clamait ce « Bethléem » qui se prolongeait comme un bêlement d’agneau, il faisait passer par sa bouche toute sa voix et tout son amour. On pouvait croire, lorsqu’il disait « Jésus » ou « enfant de Bethléem » qu’il se passait la langue sur les lèvres comme pour savourer la douceur de ces mots.
Au nombre des grâces prodiguées par le Seigneur en ce lieu, on peut compter la vision admirable dont un homme de grande vertu reçut alors la faveur. Il aperçut couché dans la mangeoire un petit enfant immobile que l’approche du saint parut tirer du sommeil. Cette vision échut vraiment bien à propos, car l’Enfant-Jésus était, de fait, endormi dans l’oubli au fond de bien des coeurs jusqu’au jour où, par son serviteur François, son souvenir fut ranimé et imprimé de façon indélébile dans les mémoires. Après la clôture des solennités de la nuit, chacun rentra chez soi, plein d’allégresse.
On conserva du foin de la crèche « afin que Yahweh guérisse le bétail, si grande est sa miséricorde » ! En effet, beaucoup d’animaux de la région, atteints de diverses maladies, mangèrent de ce foin et furent guéris. Bien mieux, des femmes qui, au cours d’enfantements laborieux et pénibles, se munirent de quelques brins, accouchèrent heureusement. Des foules d’hommes et de femmes purent de la même façon recouvrer la santé. » (Vita Prima).
Cette première Crèche vivante donna ensuite l’idée aux communautés franciscaines de reproduire la scène de la Nativité, en trois dimensions, dans leurs oratoires, à l’aide de figurines en bois ou en terre pendant le temps de Noël.
Cet usage connut un tel succès qu’il se répandit progressivement aux autres églises. A cet égard, la Crèche d’Arnolfo di Cambio marque une étape importante puisque, commandée par le Pape Nicolas IV pour l’oratoire de la Crèche de l’une des plus insignes basiliques de la Chrétienté, elle confère une sorte de consécration officielle à cet usage né de la dévotion franciscaine.
En France, c’est à la fin du Moyen-Age que les Crèches apparaissent dans les églises, et c’est surtout au XVIe siècle qu’elles se généralisent. Les personnages seront d’abord en bois ou plus modestement en carton pâte ; la terre cuite et le plâtre viendront bien plus tard.
En Italie, l’épanouissement du baroque va donner aux Crèches un développement prodigieux : les Crèches napolitaines du XVIIIe siècle constituent de spectaculaires mises en scène et font l’objet d’un inépuisable émerveillement, par leur qualité, par l’abondance des détails et par la multiplication des personnages.
C’est aussi au cours de la période baroque que les demeures aristocratiques vont s’enorgueillir de posséder de ces splendides Crèches ; véritables oeuvres d’art, elles ne sont donc plus réservées aux seules églises mais entrent, même si c’est encore d’une manière très sélective, dans les demeures particulières.
L’adoration des Mages, détail de la prodigieuse Crèche napolitaine du XVIIIe siècle
présentée dans la basilique des Saints Côme et Damien au forum à Rome.
VI. Les Crèches dans les maisons.
D’une manière un peu paradoxale, on peut dire que la grande révolution a participé au développement de la dévotion à la Crèche.
En effet, la persécution religieuse qui éclate en France à partir de 1791 (et qui durera presque 10 ans avec des périodes d’intensité variable), a pour conséquence immédiate la fermeture des églises et la suppression officielle du culte catholique.
Beaucoup de fidèles, nous le savons, même s’ils sont obligés de le cacher, restent profondément attachés à leur foi et continuent à prier et à marquer, autant qu’ils le peuvent, les temps liturgiques et les grandes fêtes de l’année chrétienne.
De très nombreux prêtres – parce qu’ils ont refusé le serment schismatique – sont pourchassés, déportés, emprisonnés, condamnés à mort… Mais ils sont aussi très nombreux, dans tout le Royaume, à avoir pris le maquis : dans les Hautes Boutières où nous vivons, sur le territoire de cinq ou six paroisses, ils furent au moins une dizaine de prêtres (et parfois davantage) qui se cachèrent et continuèrent leur ministère clandestinement, célébrant la Sainte Messe dans des maisons particulières ou dans des granges isolées, visitant les malades et administrant les mourants au cours de longues courses nocturnes, baptisant les nouveaux-nés et mariant les promis…
La Messe de Minuit dans les ruines de l’église pendant la terreur
- vitrail de l’église de La Séguinière, dans le Choletais -
Ne pouvant se résoudre à ne plus se recueillir devant les si populaires Crèches de leurs églises, les fidèles s’attachèrent à les reproduire dans des dimensions très réduites, presque des miniatures adaptées à leurs humbles maisons et au temps de la persécution : les personnages furent modelés très souvent avec de la mie de pain, puis avec de la glaise.
En Provence, ces « petits saints » (par opposition aux grandes statues des saints des églises) furent nommés « santouns », et c’est l’origine de notre mot français « santon ».
Après la persécution, l’usage demeura de faire la Crèche dans les maisons : un usage qui se développa et devint quasi général au cours du XIXe siècle.
VII. Le temps et l’esprit de la Crèche.
1) Quand doit-on installer la Crèche ?
- En ce qui concerne les Crèches domestiques, les usages varient selon les régions, voire selon les familles.
Certains aiment l’installer dans leurs maisons dès le premier dimanche de l’Avent. La Crèche devient alors le lieu devant lequel la famille chrétienne se réunit pour prier : le berceau vide matérialise la joyeuse attente de Noël et son aménagement permet même de concrétiser les efforts spirituels de chacun tout au long de l’Avent.
En d’autres endroits, en fonction des dévotions régionales, c’est à l’occasion de l’une des belles fêtes de décembre que la Crèche est installée (Saint Nicolas, l’Immaculée Conception ou Sainte Lucie).
Enfin d’autres encore ne la mettent en place que dans les tout derniers jours qui précèdent Noël, se calant ainsi sur l’usage qui prévaut pour les Crèches des églises.
- Dans les églises en effet, normalement, on ne met la Crèche en place que dans les jours qui précèdent la fête de la Nativité. Un usage ancien voulait même que l’on tendît un rideau violet devant la Crèche jusqu’à la fin des premières vêpres de Noël : ce n’est qu’après avoir chanté celles-ci que le clergé se rendait en procession jusqu’au lieu de la Crèche et en retirait le voile.
De toute façon, il ne convient pas que la Crèche soit présentée trop tôt aux fidèles dans les églises : le temps de la Crèche commence avec la fête de Noël, et pas avant.
Mettre en évidence la Crèche de manière prématurée revient à ôter une partie du sens de l’Avent qui n’est pas seulement temps de préparation à la fête de la Naissance du Sauveur, mais la célébration des trois avènements du Rédempteur.
La collecte de la Messe de la Vigile de Noël, au matin du 24 décembre, le marque encore d’une manière particulière : « O Dieu, qui nous réjouissez chaque année par l’espérance de notre rédemption, accordez-nous, en recevant joyeusement Votre fils unique comme Rédempteur, de Le voir aussi sans crainte venir comme juge… »
Crèche provençale avec des santons habillés
Chapelle des Cordeliers, à Aubenas (Vivarais)
2) La Crèche n’est pas une « reconstitution historique ».
Certains réalisent des Crèches dans lesquelles les personnages et le paysage cherchent à reproduire de manière scrupuleuse les costumes et les lieux de Bethléem, il y a quelque deux mille ans.
D’une manière plus générale les Crèches mêlent des éléments antiques et des éléments plus modernes ou contemporains : c’est particulièrement frappant dans les Crèches napolitaines où l’on voit, autour de la Vierge Marie et de Saint Joseph en costumes orientaux, une foule de personnages en habits du XVIIIe siècle, depuis les artisans et gens du peuple jusqu’aux nobles ; c’est également vrai dans les Crèches provençales où les santons représentent des personnages typiques de la vie des villages de Provence : le rémouleur, le bohémien, le meunier, le braconnier, le gendarme avec son bicorne, l’arlésienne… etc., et même le moine pieds nus dans ses sandales et le curé avec son parapluie rouge ou son grand mouchoir à carreaux !
C’est que, de fait, la Crèche n’est pas une reconstitution à la manière d’une maquette d’archéologues ; elle n’est pas là juste pour nous permettre de visualiser, comme dans un film historique, ce qui s’est passé et serait définitivement passé.
La Crèche appartient au monde des symboles : elle représente, d’une manière parfois naïve et d’autres fois de manière très recherchée, que Noël est une actualisation mystérieuse de la venue du Rédempteur dans nos vies. Pas seulement la vie des habitants de Bethléem il y a plus de deux mille ans, mais notre vie quotidienne aujourd’hui.
Noël n’est pas seulement un anniversaire, c’est un mystère de grâce qui se continue et s’accomplit en notre temps. Comme l’a si justement exprimé notre Saint Père le Pape Benoît XVI, la Crèche devient alors « une école de vie » .
3) Quand enlève-t-on la Crèche ?
Selon la tradition, on laisse la Crèche dans les églises jusqu’au 2 février : jour de la Chandeleur, fête de la Présentation de Notre-Seigneur au Temple et de la Purification de Notre-Dame. C’est alors que s’achève le temps des quarante jours, chiffre biblique au symbolisme très riche.
Il arrive fréquemment aujourd’hui que l’on retire les Crèches des églises (du moins celles où l’on ne célèbre pas la liturgie traditionnelle) sitôt passée la fête de l’Epiphanie. J’avoue ne pas en voir la raison, si ce n’est peut-être seulement la volonté de rompre systématiquement avec ce qui a été pratiqué pendant des siècles…
Frère Maximilien-Marie du Sacré-Coeur.
La Crèche du Mesnil-Marie – détail
Pour voir ou revoir les vidéos de la Crèche du Mesnil-Marie
- celle de Noël 2011 > ici
- celle de Noël 2012 > ici
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Bonne et sainte fête de Noël à tous .
Inépuisable Frère !
MERCI
C’est peut être à cause des vols nombreux dans les églises. Il y a une bonne cinquantaine d’années lorsque j’étais étudiant, la quatrième année de droit et les spécialisations se passaient à l’ancienne faculté devant Notre-Dame la Grande de Poitiers, le Père curé la faisait fermer vers 13 h, le temps des déjeuner car il ne voulait pas, avec raison, la laisser sans surveillance.
Saint Noël à tous !
Merci beaucoup!