2011-63. Légende du Roi Robert de Sicile.
Vendredi soir 19 août 2011.
Aujourd’hui, dans nos montagnes, il faisait une chaleur caniculaire qui rendait impossible de travailler dehors au débroussaillage. Alors, j’ai aidé Frère Maximilien-Marie à classer et à ranger des documents. C’est ainsi que je suis tombé sur un classeur contenant des textes qu’il avait rédigés, ou bien adaptés à partir d’anciennes légendes, pour en faire des saynètes jouées lors de petits spectacles de camps de vacances ou de soirées scoutes.
J’ai donc décidé de recopier pour vous la « Légende du Roi Robert de Sicile ».
Lully.
Il y a bien des siècles, au temps où la Sicile était un royaume indépendant, elle eut pour souverain un roi puissant et redouté qui avait pour nom Robert.
Il était d’un caractère fier et ombrageux. Victorieux en toutes ses batailles, il avait pris l’habitude de voir toutes les volontés soumises à la sienne et toute chose s’incliner sous son sceptre. On le craignait plus qu’on ne l’aimait.
Un jour où il faisait célébrer dans la somptueuse chapelle palatine un office solennel pour magnifier l’une de ses victoires, il remarqua une phrase qui revenait d’une manière régulière dans le chant.
Comme il n’entendait point la langue latine, il fit signe à l’un des chapelains qui entourait son trône :
« - Mon Père, dites-moi donc : quel est le sens de cette parole qui revient si souvent, comme une espèce de refrain, dans le chant du choeur?
- Sire, répondit l’ecclésiastique, c’est un verset du « Magnificat » : « Deposuit potentes de sede et exaltavit humiles », et cela signifie : « Le Seigneur a déposé des puissants de leurs trônes et il a exalté les humbles »…
- Comment? s’indigna Robert. Qu’est ce que cela veut dire? Se moque-t-on de moi jusque dans mon propre palais?… Mon trône à moi est ferme, et personne ne me l’enlèvera! J’en suis l’héritier légitime par droit de naissance, et je travaille chaque jour à le rendre plus glorieux par mes conquêtes! Dieu serait bien injuste s’il me l’ôtait! »
L’orgueil de Robert avait été touché au vif. Contrarié, mécontent, il se renfrogna. L’office était long, sa beauté lui devint insipide et ennuyeuse… au point qu’il s’assoupit.
Quand il se réveilla, il fut bien étonné de se retrouver tout seul, dans la pénombre de la chapelle où seule la flamme tremblotante des veilleuses se reflétait dans l’or des somptueuses mosaïques.
Il bondit : « Quoi? On m’a laissé tout seul, moi, le Roi! Et dans le noir… »
Il était furieux et se précipita vers la porte, qu’il trouva close : « Et on m’a enfermé qui pis est! »
Il s’étranglait d’indignation et se mit à crier, à hurler, si bien qu’un sacristain finit par se montrer : « Que se passe-t-il, l’homme? Que fais-tu là? Pourquoi troubles-tu la quiétude du lieu saint?… »
Robert lui sauta dessus : « C’est ainsi que tu parles à ton Roi? »
Le sacristain éclata de rire : « Tu as trop bu, ou tu es fou… Mon roi! Ah!Ah!Ah!… Regarde-toi donc, gueux! En voilà des atours de roi!… »
Robert, baissant les yeux, se rendit alors compte qu’il portait des haillons, sales et déchirés, qu’il était pieds nus et n’arborait plus ni pierreries ni dague précieuse au côté.
Il n’en hurla que davantage, si bien que le sacristain perdit patience et appela les gardes qui se saisirent de lui et le jetèrent dehors sans ménagement.
Robert ne décolérait pas. Et cependant ne lui faudrait-il pas se rendre à l’évidence? Méconnaissable sous ses haillons, réduit à la mendicité comme tout le cortège des gueux qui trouvait refuge sous les arcades des rues ou sous les porches des églises, personne ne prêtait attention à lui, à ses protestations et à ses cris. Quant à ses menaces et ses vociférations elles n’inspiraient que rires!
Les semaines passaient. Chaque jour, il se présentait à la porte de son propre palais et réclamait avec arrogance qu’on le rétablît dans ses droits.
Les gardes se moquaient de lui puis, lassés, finirent par le molester.
Robert n’y comprenait rien. Souvent il se disait qu’il était en train de faire un horrible cauchemar, qu’il allait se réveiller… mais il se réveillait chaque matin dans ses guenilles et dans sa crasse. Non seulement il ne parvenait pas à se faire reconnaître, mais force lui fut de constater que le trône de Sicile était occupé par un autre roi!
Mais était-ce bien un autre? Robert l’apercevait, caracolant à la tête de ses hommes d’armes, quand il sortait du palais.
Ce roi était en tous points semblable à lui, comme s’il s’était agi d’un frère jumeau. Les rumeurs de la rue rapportaient que ce roi, qui occupait son trône et qu’on appelait aussi Robert, gouvernait dans la justice et l’équité, qu’il était doux et compatissant, bon et courtois avec tous…
Fou de rage et de dépit, Robert le rejeté, Robert le méprisé, Robert le méconnu n’était toutefois pas au bout de ses humiliations…
Ce fut encore plus terrible en effet, le jour où son frère aîné, l’empereur germanique, et son cousin, le Pape, vinrent en Sicile.
Il y eut des festivités extraordinaires et de splendides cortèges à travers toute la ville pavoisée. Il y eut des cérémonies somptueuses et de mirifiques cavalcades. Il y eut des festins et des tournois…
L’empereur germanique semblait véritablement reconnaître son frère dans l’usurpateur du trône de Robert : lorsqu’il avait été accueilli à la porte de la ville, il n’avait point marqué d’hésitation mais l’avait embrassé avec la plus vive affection.
Quant au Pape, qui était du même âge que Robert et dont il avait été l’inséparable compagnon de jeux pendant l’enfance et l’adolescence, il ne semblait pas non plus avoir le moindre doute sur l’identité de celui qui le recevait avec autant de chaleur que de fastes!
Au dernier jour des fêtes, alors que toute la cité en liesse se rendait à la cathédrale pour la grande cérémonie d’action de grâces célébrée par le Pape lui-même devant l’empereur et le roi, Robert, au comble de l’indignation, n’y tint plus. Il parvint à fendre la foule des courtisans et des soldats au moment où Sa Sainteté et leurs Majestés saluaient longuement le bon peuple depuis le parvis, avant d’entrer en procession solennelle dans la grand’nef : « Très Saint Père! Majesté!… Mon frère! Mon cousin! Je suis le roi Robert et cet homme est un imposteur… Rendez-moi justice! Je suis Robert, Robert de Sicile!… »
Le roi qui n’était pas Robert mais qui était si semblable à lui fit un geste en direction des gardes qui repoussèrent Robert promptement et sans ménagement, tandis qu’il déclarait à ses hôtes : « Ne prêtez point attention à ce pauvre homme : il mérite plus de pitié que de colère pour ses propos insensés! »
Sous les ors des mosaïques, la cérémonie se déroulait avec une magnificence sans pareille. Après l’entrée des cortèges et des fidèles, malgré l’affluence, Robert l’humilié avait réussi à se faufiler dans la cathédrale et à se blottir derrière un pilier, tout au fond… Des trompettes d’argent alternaient avec les voix puissantes des choeurs, tandis que des volutes d’encens s’élevaient jusqu’à la représentation du Pantocrator triomphant de l’abside.
Alors il entendit à nouveau s’élever le chant du « Magnificat » dont les versets, d’abord chantés par le choeur étaient repris avec une joyeuse ferveur par la foule : « Deposuit potentes de sede et exaltavit humiles! Il a déposé des puissants de leurs trônes et il a exalté les humbles… »
Cette parole lui pénétra le coeur, et il se souvint du jour où il s’était révolté contre elle.
Il comprit que Dieu l’avait dépossédé, lui, Robert l’orgueilleux qui s’était insurgé contre les vérités proclamées par les Saintes Ecritures. Il réalisa qu’il s’était attribué à lui-même les mérites des dons du Tout-Miséricordieux. Il vit toute la grandeur de sa faute et il fut pris de repentir.
Robert le contrit pleura… et ses larmes qui coulaient en abondance lui firent du bien à l’âme.
L’office était terminé depuis longtemps. La foule s’était retirée. Robert prosterné le front contre terre était là, dans la pénombre, à pleurer et à demander pardon.
Un pas résonna sur les dalles. Quelqu’un s’approcha de lui. Une main le releva.
C’était le roi qui lui ressemblait, le roi qui avait pris sa place, le roi qui avait pris son nom, le roi qu’il ne connaissait pas et que tous prenaient pour lui. Et ce roi inconnu, qui lui ressemblait tant mais qui n’était pas lui, lui demanda : « Qui es tu? »
- Je ne sais plus qui je suis, murmura Robert. Je croyais être le glorieux roi Robert de Sicile, mais je ne suis qu’un pauvre pécheur qui a offensé la Majesté divine…
Il y eut un silence d’une étrange plénitude. Puis l’inconnu reprit:
- Et moi, sais-tu qui je suis?
- Peut-être est-ce vraiment toi Robert de Sicile?…
- Non. Je suis un ange de Dieu, l’ange gardien de ton royaume, et Dieu a voulu que par moi tu reçoives cette salutaire leçon. Tu es le roi Robert ; tu es Robert de Sicile. J’ai pris ton apparence et ton trône pour que tu puisses apprendre combien l’humilité seule est agréable au coeur de Dieu. Mais maintenant que ton orgueil a été abaissé et que tu as reconnu ta faute, maintenant que tu t’es humilié devant le Seul Puissant et Glorieux, Dieu m’envoie te rendre ton nom, ton trône et les insignes de cette majesté dont tu lui es redevable et qui ne doit rien à tes propres mérites…
L’ange remit donc à Robert sa couronne et ses vêtements royaux, il lui restitua son épée et son sceptre, puis il le bénit avant de disparaître : « Souviens-toi que l’orgueil fait le malheur des hommes, et qu’il fait aussi le malheur des peuples lorsque celui qui les gouverne lui a livré son coeur. Sois désormais un roi selon le Coeur du Dieu qui déploie la puissance de son bras pour disperser les superbes en la pensée de leur coeur, qui dépose des puissants de leurs trônes mais qui exalte les humbles… »

Vous pouvez laisser une réponse.
En réponse à Marie-Françoise, Dino Buzzati a revisité le thème dans une des nouvelles publiées sous le générique du « K ». Dans « la leçon de 1980″, chaque mardi soir, l’homme le plus puissant de la Terre meurt subitement ; après que sont ainsi passés de vie à trépas, 2 présidents des USA, un 1er secrétaire du PCUS, un patron de presse, un chinois et quelques autres, les dirigeants du globe se montrent moins empressés à conquérir le pouvoir… seul De Gaulle sera épargné, quoique s’étant déclaré près à mourir.
Mais, de semaine en semaine, les autres meurent et pas lui, ce qui le navre au plus haut point.
AMDG
Très belle histoire à raconter et à diffuser.
Si Dieu pouvait agir ainsi pour la France et envers tous nos roitelets !
Très belle histoire à méditer en notre cœur, uni à ceux de Jésus et Marie.
Merci, Frère Maximilien-Marie.