2011-37. In memoriam : Monsieur l’abbé Bryan Houghton (2 avril 1911 – 19 novembre 1992).
« Laudemus viros gloriosos, et parentes nostros in generatione sua :
Louons ces hommes plein de gloire qui sont nos pères et dont nous sommes la race…» (Eccli. XLIV,1).
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« Le plus souvent, dans la vie courante, ce sont nos occupations et nos responsabilités qui nous procurent la discipline nécessaire à la vie. Une certaine dose de discipline intérieure est par conséquent nécessaire pour passer vingt ans sans responsabilité ni emploi. C’est précisément le caractère contemplatif de la messe ancienne qui m’a donné cette nécessaire discipline. Vous avez donc devant vous un prêtre rejeté à cause de la messe ancienne, mais auquel seule la messe ancienne permet de vivre. »
Abbé Bryan Hougthon (paroles prononcées à l’occasion de ses cinquante ans de sacerdoce).
Monsieur l’Abbé Bryan Houghton (1911-1992)
Né le 2 avril 1911 dans une famille britannique anglicane mais peu religieuse et d’esprit plutôt libéral, Bryan Houghton fut élevé dans le rejet du catholicisme romain. Selon un usage de ce temps – où dans les milieux aisées les relations familiales laissaient peu de place aux sentiments – il fut envoyé très jeune dans un pensionnat du sud de la France pour y suivre sa scolarité.
C’est là, alors qu’il n’a que neuf ans, que Bryan reçoit d’un camarade catholique une illumination qui va éclairer toute sa vie. Laissons-le en faire le récit :
« Mon audace était grande : j’avais neuf ans, il en avait quinze.
- Je suis protestant et je voudrais que tu me dises ce que c’est que la messe. J’y vais tous les jours mais je ne comprends rien.
- Oui, je t’ai vu au fond de la chapelle. Je croyais que tu étais juif.
- Non, je suis protestant. J’ai assisté à nos offices protestants. Ils sont très beaux : on y parle sans cesse de Jésus.
- C’est ça, on y parle de Jésus. Ils sont sûrement très beaux. Mais ce n’est pas la messe. Vois-tu, la messe EST Jésus.
Il hésita un moment, puis reprit :
- Vois-tu, Dieu s’est fait chair pour nous racheter sur la croix. A la Cène, il nous a laissé son Corps et son Sang sous les apparences du pain et du vin, comme gages de notre rédemption. La messe, c’est ça : la Présence réelle de Jésus-Christ. Devant un acte pareil, il n’y a rien à faire ou à dire. On ne peut que se taire.(…)
Voilà à peu près ce que fut la réponse d’Hippolyte. J’ai pu l’embellir un peu au fil des ans. Mais il m’en reste deux idées essentielles :
1. Le protestantisme parle de Jésus ; le catholicisme EST Jésus.
2. En face de la Rédemption, il n’y a de place pour aucune autre action humaine que le silence.
La messe était une liturgie dans laquelle Dieu agissait et non les hommes. Elle comportait de larges plages de silence pour permettre l’adoration de la Présence ineffable. Ce qui était dit à voix haute, l’était en latin pour limiter les interférences avec la personnalité du prêtre. Cette première expérience a joué un rôle essentiel ; il faudra l’avoir en mémoire lorsqu’il sera question des changements dans la messe, trente-cinq ans plus tard. » (in « Prêtre rejeté »)
Ces perspectives nouvelles et bouleversantes marquent Bryan à vie et vont l’amener, des années plus tard et au mépris de toutes les conventions et pressions sociales, à se convertir au catholicisme. Il a presque 23 ans. Quelque deux ans plus tard, il part à Rome afin d’y suivre les études qui le conduiront au sacerdoce.
Il est ordonné prêtre le dimanche de Quasimodo 31 mars 1940, par le cardinal Hinsley, dans la crypte de la cathédrale de Westminster. Il va ensuite exercer pendant vingt-neuf ans son ministère comme curé dans deux paroisses proches de Londres : d’abord à Slough, dans un quartier très populaire, où il crée la paroisse Saint-Antoine, puis à partir de septembre 1954 à Bury St Edmunds.
A partir des années soixante – et comme malheureusement presque partout à cette époque -, il est affronté à l’action de certains prétendus réformateurs qui prennent prétexte du second concile du Vatican pour, ni plus ni moins, vider le catholicisme de sa substance. La réforme liturgique va représenter pour lui un véritable drame : converti par la messe, l’abbé Houghton ne peut en conscience abandonner la liturgie qui exprime si magnifiquement l’intégrité de la foi catholique. Il dira un jour qu’il n’a pas abandonné l’anglicanisme et intégré l’Eglise Romaine, pour devoir y retrouver une « messe protestante ». Toutefois il ne veut pas non plus désobéir. Une seule solution lui reste donc : la démission, qui lui permettra – n’ayant plus de ministère – de bénéficier de l’autorisation de célébrer en privé la messe de son ordination.
Le 29 novembre 1969, à la veille du premier dimanche de l’Avent où, selon la volonté de Paul VI, le nouvel Ordo Missae entre en application, l’abbé Houghton se démet de sa charge de curé. Il écrit :
« … La seule issue honorable est de cesser de fonctionner. Si j’utilisais la nouvelle liturgie avec la ferveur convenable, je me conduirais en hypocrite ; si je continuais à célébrer selon l’ancienne, je désobéirais. Je ne veux ni l’un ni l’autre. Ainsi donc je m’en vais comme un prêtre parfaitement loyal, avec la bénédiction de mon évêque. C’est ce qui fait la bizarrerie de ce départ… »
Voici quelques autres citations remarquables où il pose les bonnes questions au sujet de la réforme liturgique et de la pagaïe qu’elle a engendrée :
« Il y avait une question à laquelle je trouvais difficile de donner une réponse satisfaisante. Tous les prêtres avaient dit quotidiennement la messe ancienne avec le soin voulu et, apparemment, avec dévotion. Comment se faisait-il que 98 % d’entre eux acceptaient volontiers qu’elle change alors que ni le concile ni le pape n’en avait donné l’ordre. Ils avaient sauté sur cette simple permission comme les pourceaux de Gadara dans la mer. (…) Il n’était pas possible qu’ils aient aimé la messe ancienne. Ce n’était qu’un rite dont on pouvait changer comme on change de pantalon. Mais s’ils n’aimaient pas la messe, sans doute étaient-ils incapables d’adorer. Ils devaient considérer que la messe était une chose qu’ils avaient à faire, et non une chose que Dieu faisait. »
« Une des caractéristiques extraordinaires du bricolage de la messe, c’est que le prêtre jouit d’une liberté que les laïcs ont perdue. Dans l’ancienne messe, le prêtre était soumis à une stricte observance des rubriques et les laïcs pouvaient faire à peu près ce qu’ils voulaient : suivre la messe dans leur missel, lire le Manuel du Chrétien, dire leur chapelet, s’endormir… Maintenant le prêtre est libre d’inventer ce qu’il veut, mais malheur aux laïcs qui ne participent pas. Ce n’est pas la seule conséquence. Les laïcs sont toujours obligés d’assister à la messe le dimanche. Mais « la messe » n’existe plus dans le rite latin. Il y a à peu près autant de messes qu’il y a de prêtres. Est-ce que les laïcs sont obligés de se plier aux caprices du célébrant ? Il serait carrément injuste que la réponse soit oui. »
Doté d’une confortable fortune personnelle, il quitte l’Angleterre et décide de s’installer dans le sud de la France, là où il verra le premier olivier. Ainsi fait-il halte à Viviers où il s’établit et demeure jusqu’à sa mort (1992).
L’évêque de Viviers de cette époque – le très progressiste Monseigneur Hermil (au sujet duquel il dit un jour avec autant d’ironie que de réalisme : « Ce n’est pas un mauvais homme mais il n’a pas beaucoup de religion… ») – avait consenti à ce qu’il célébrât en semaine sa messe privée au maître-autel de la cathédrale Saint-Vincent (laquelle était d’ailleurs pratiquement désertée).
L’abbé Bryan Houghton devient une personnalité «traditionaliste» locale et célèbre le dimanche la messe de Saint Pie V pour une petite communauté de fidèles (« ..les malheureux laïcs me faisaient immensément pitié. Ils étaient à la merci des prêtres amateurs de changements et priés d’applaudir à chaque innovation… »). Les célébrations dominicales se tiennent dans diverses chapelles privées avant de s’établir, de l’autre côté du Rhône, à Montélimar, dans la chapelle Notre-Dame de la Rose.
Chapelle Notre-Dame de la Rose
(XIIe siècle, remaniée aux XVIIe et XIXe siècles).
Il aurait désiré acheter cette chapelle Notre-Dame de la Rose, mais la propriétaire, la marquise de La Bruyère, subit les pressions de personnalités influentes qui finalement la dissuaderont de la lui vendre (nota : en 1980, la chapelle est devenue propriété de l’évêché de Valence, elle reste affectée à la célébration de la messe latine traditionnelle, qui est désormais assurée par les prêtres de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre).
L’abbé Houghton côtoie Monseigneur Lefèbvre, dont il n’approuve pas toujours les décisions, et devient l’ami de Dom Gérard Calvet, dont il suit avec intérêt la fondation et les travaux pour la construction du monastère du Barroux. Il donne des conférences et il écrit : c’est ainsi qu’il publie « La paix de Monseigneur Forester » en 1982, préfacée par Gustave Thibon (ouvrage où il proposait des solutions afin de parvenir à une paix liturgique), « Le mariage de Judith » en 1984 (réédité en 1994), « Irréligion » en 1987, « Prêtre rejeté » en 1990 (réédité en 2005 avec 27 articles en supplément).
L’abbé Bryan Houghton s’est éteint le 19 novembre 1992, victime d’une crise cardiaque : il avait 81 ans. Il a été inhumé au cimetière de Viviers.
Hic Bryan Houghton sacerdotis
die 2 aprilis 1911 nati et 31 martii 1940 ordinati
obiit die 19 novembris 1992
R.I.P.
Voir aussi :
- annonce de la célébration du 20ème anniversaire de la mort de l’abbé Houghton > ici
- Compte-rendu de la célébration du 20ème anniversaire de la mort de l’abbé Houghton > ici
Vous pouvez laisser une réponse.
A mon humble avis, « Prêtre rejeté » donne la meilleure analyse que j’aie lue sur les différences entre le rite traditionnel et le rite progressiste.
Merci pour ce souvenir!
Ce prêtre était non seulement une grande âme, mais aussi un fidèle témoin du Christ.
je ne connaissais pas du tout cette merveilleuse âme !
je souhaite trouver ses livres : je vais me mettre à chercher ….
j’ai été élevée avec cette belle liturgie de la messe traditionnelle et suis heureuse d’avoir la chance de pouvoir suivre cette messe le plus souvent possible grâce à la FSSP merci de cette découverte!
Claire
Je suis très heureux d’avoir pu lire cette courte biographie de l’Abbé Houghton.
Je ne le connaissais que de nom et de réputation.
Je comprends son irréductible fidélité à la Sainte Messe tridentine pour avoir accompli une démarche inverse : ayant découvert le rite tridentin après avoir célébré la Messe de Paul VI pendant 30 ans avec toute la ferveur possible, je deviens un inconditionnel de la Messe tridentine, quoique je sois obligé encore à célébrer selon le rite ordinaire lorsque je suis en paroisse le dimanche.
Un bel hommage, et si mérité!
Ces réflexions de l’abbé Houghton sont très justes et convaincantes. Je diffuse.
Amitiés.
JLP
Merci de nous avoir évoqué la vie de cet abbé anglais.
Je m’étais régalé de ses livres, et permettez-moi de dire de son humour.
J’ai le souvenir d’une conférence sur un sujet plutôt sérieux, à Paris je crois, et je dois dire que son humour anglais était ravageur pour se moquer des progressistes de l’époque et je n’ai jamais autant ri !
C’était une figure magnifique.
BG.
Merci de cette riche évocation de la vie de l’abbé Houghton.
Les fidèles de Notre-Dame de la Rose de Montélimar sont conscients de la grâce qu’ils ont eue d’assister, pendant presque dix années, à la messe célébrée par ce saint prêtre.
Chaque année, à la Toussaint, nous nous rendons sur sa tombe pour la fleurir et prier.
Pour le dixième anniversaire de son rappel à Dieu, les fidèles ont organisé une très belle journée à sa mémoire (messe tridentine, conférence et vêpres célébrées par Mgr l’évêque de Valence).
J’ai toujours été violemment remué par les écrits de M. l’abbé Houghton et regrette de ne pas l’avoir connu, car il devait être tout à fait extraordinaire ! Merci de lui rendre hommage.
Requiem æternam dona ei Domine, et lux perpetua luceat ei.
Sa tombe n’est pas fleurie. Les fidèles ne seraient-ils pas fidèles ?
Merci pour ce rappel, que j’ai glissé dans « La Paix de Mgr Forester », toujours à portée de ma main.