2011-17. Conte du Mézenc farceur et des nuages chatouilleux.

Savez-vous que mon « papa-moine » est conteur ? Non seulement conteur pour raconter des choses qui ont été écrites par d’autres, mais aussi parce qu’il écrit lui-même des contes dont il se sert pour animer veillées ou promenades. Il puise son inspiration en certaines de ses observations ou dans des circonstances vécues, d’autres fois il revisite de manière totalement déjantée des histoires qui appartiennent au fond commun des traditions populaires… Aujourd’hui je vous propose un conte qui a été inspiré à Frère Maximilien-Marie par la réflexion d’un enfant doté d’une belle imagination et auquel il faisait admirer le Mont Mézenc un jour où son sommet était couronné de nuages…

Lully.

nuage rieur

Monsieur Mézenc est un mont majestueux qui est né voici plusieurs millions d’années, alors que la terre était tout entière en ébullition.

Les montagnes sont comme tous les êtres vivants : elles naissent, elles grandissent ; elles ont une jeunesse… et elles vieillissent aussi.

Monsieur Mézenc donc était né, et il avait grandi : à vrai dire, il avait eu une adolescence un peu tumultueuse… Bouillonnante, pourrait-on dire !

N’avait-il pas en grandissant tout bouleversé autour de lui ? Ne s’était-il pas comporté comme un chamboule-tout, ne laissant rien en paix dans son entourage ?

N’avait-il pas lancé flammes et laves à des dizaines de kilomètres et entraîné ses petits voisins à faire de même ?

éruption volcanique

Pourtant, sous ses dehors d’agitateur, Monsieur Mézenc était un mont d’une sensibilité exquise – car les montagnes ont une sensibilité!- et sous son apparente rudesse se cachait une âme tendrement espiègle !

Le saviez-vous? Auriez-vous pu l’imaginer ? Depuis qu’il était tout petit, en regardant vers les cieux, il avait nourri le désir de… chatouiller les nuages !

Les années avaient passé.

Avec l’âge, Monsieur Mézenc avait pris des allures de montagne sage et bien rangée, avec l’apparence paisible d’une grande table de pierre…

Des millénaires étaient passés…

Monsieur Mézenc était devenu un grand seigneur, dominant de son impressionnante masse tout le cirque des Boutières, et attirant les regards depuis tous les sommets et toutes les crêtes à des kilomètres à la ronde.

Il forçait l’admiration et le respect par sa sereine et splendide majesté.

Le Mont Mézenc depuis le rocher de Soutron

Sur ses pentes, les chevreuils, les renards, les sangliers, les marmottes – et même à certaines époques les ours et les loups – adoraient vivre et se promener…

Son sommet n’avait certes rien de ces pics bien aiguisés que l’on peut voir en d’autres massifs : toutefois il estimait qu’il avait une pointe suffisante pour, le moment venu, parvenir à chatouiller les volutes immaculées qu’il voyait se promener au dessus de lui.

En effet, malgré cette apparence si sage, Monseigneur le Mézenc gardait son rêve d’enfant turbulent. Quoique paraissant très calme, il avait toujours son regard levé vers le ciel… guettant les nuages.

Car, pour tout dire, il s’ennuyait un peu, et il souhaitait toujours leur faire sa petite blague.

Or un jour – un jour qui aurait pu être tout pareil aux autres jours – il entendit chanter dans le lointain : – « Hé ho, hé ho, nous sommes les nuages, hé ho hé ho hé ho hé ho… »

-« Oh oh ! se dit Monsieur Mézenc, mais ne dirait-on pas qu’un groupe de nuages se dirige par ici ? Ils sont bien dodus, bien rondouillards et bien cotonneux… Mon heure ne serai-elle pas venue ? »

Sans se douter qu’il se faisait le complice de son innocente malice, le vent les amenait dans sa direction : génial ! Il les laissa approcher en faisant semblant de dormir. 

Un sourire coquin à l’intérieur de lui-même, Monseigneur le Mézenc attendit patiemment qu’ils arrivent juste au dessus de lui.

Encore quelques mètres… et voilà : il les avait juste à portée de sommet !

Nuages effleurant le sommet du Mézenc

Alors, il se haussa sur la pointe des pieds et, imperceptiblement, il se mit à donner à son sommet de petits mouvements afin de gratter le dessous des nuages.

D’abord tout doucement… Puis, un peu plus fort !
Un premier nuage commença à se trémousser en se déformant quelque peu. Un deuxième se tortilla en faisant entendre de petits gloussements. Un troisième, qui avait été chatouillé avec plus d’audace, hoqueta de rire :

-« Hey ! Mais que se passe-t-il ici ? J’ai l’impression qu’on me gratouille là-dessous ! »

Le nuage se contorsionna pour regarder son ventre, et voir qui pouvait l’avoir ainsi papouillé. Monsieur Mézenc, l’air de rien, ne bronchait pas.

A l’intérieur de lui-même cependant, son rire exultait : c’était vraiment trop drôle, ces nuages qui se tortillaient !

Il reprit son oeuvre et chatouilla le reste du groupe : les nuages s’étiraient puis se recroquevillaient en riant, car ils étaient tous très chatouilleux !

- « Oh oh oh, c’est trop rigolo ! » s’écria l’un d’eux, dans un grand éclat de rire. – « Oui, ajouta un autre, et je crois bien que c’est cette montagne, avec son air de sainte nitouche qui nous joue des tours… » – « Tu as raison, renchérit un troisième : regarde son sommet ; c’est en fait une véritable brosse à gratter ! »

En se faisant de grands clins d’œil, les nuages se rapprochèrent les uns des autres en chuchotant :
- « Hep, psst, psst… Si nous lui faisions, à notre tour, une bonne blague ? » – « Oui, oui, oui ! Faisons-lui nous aussi une blague ! » – « Que diriez-vous de l’arroser ? » suggéra le chef de groupe.

Aussitôt, les nuages s’amoncelèrent, puis ils se serrèrent et s’essorèrent tous en chœur juste au-dessus de lui.

nuagepluie.gif

Quelle bonne douche se prit le mont : il était trempé !

Ah, ces nuages ne l’avaient pas raté. Il les vit rire de leur bonne farce.

Ils ne perdaient rien pour attendre. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, il leur mijota un bon coup à sa manière : ouvrant brusquement une de ses anciennes petites failles, il leur souffla un bon jet de vapeur.

Les nuages surpris se trouvèrent tout décoiffés : ils avaient tous la même coupe aérodynamique, en forme de crête de coq. – « Ha ha ha ! exulta le Mézenc : je les ai bien eus ! »

Mais les nuages ne s’en tinrent pas là : ainsi donc, ce mont espiègle voulait jouer avec eux… et bien eux aussi allaient jouer avec lui !

Monsieur Mézenc méritait vraiment une réponse à ses petites blagues.

Les nuages se dispersèrent alors tout autour de lui et entreprirent de lui dessiner des moustaches de coton sur les flancs : bientôt, Monseigneur le Mézenc ressembla à une immense boutique de moustaches blanches.

Il y en avait pour tous les goûts : des fines et des épaisses, des raides ou des frisées, des recourbées en guidon de vélo et des toutes droites, des anglaises ou des rouflaquettes… Sans parler d’une espèce d’énorme perruque vaporeuse qui lui faisait une tignasse de zazou…

Mont Mézenc enveloppé de nuages

Monsieur Mézenc dut admettre que leur farce était plutôt réussie, il s’amusait beaucoup en se regardant dans le miroir du firmament et trouvait leur réponse vraiment désopilante :  » Quels joyeux lurons, ces nuages ! » Alors ils se mirent tous à rire à gorge déployée : et leur rire en cascade dévalait et roulait dans les vallées alentour, et se trouvait amplifié par tous les échos des Boutières.

Rien de tel qu’une bonne partie de rigolade pour détendre l’atmosphère !

Et c’est pourquoi, depuis ce jour mémorable entre tous, quand les nuages, poussés par le vent, arrivent aux confins du Vivarais et du Velay, ils ont pris l’habitude – et ils sont tout heureux – de se rassembler au dessus de Monseigneur le Mézenc… qui en est tout heureux lui aussi.

Oui, désormais, c’est leur rituel commun, qui se perpétue depuis des centaines et des centaines d’années : les nuages viennent en groupes à portée de son sommet et le Mézenc farceur peut inlassablement renouveler son rêve d’enfant.

Les nuages lui laissent leur chatouiller le ventre, et ils recommencent à l’arroser puis à le décorer de moustaches fantaisistes et de perruques cotonneuses !

Si certains esprits chagrins vous disent que c’est du mauvais temps et du tonnerre, surtout ne les croyez pas : ce sont là des gens qui ne savent rien de ce qui se passe dans le cœur des montagnes !

Ils ne peuvent pas comprendre quelle âme d’enfant cache en lui Monsieur Mézenc, et ils ne soupçonnent pas non plus que les nuages sont espiègles !

Et ils sont vraiment trop sérieux pour entendre, dans ce qu’ils croient être le bruit du tonnerre, le rire sonore des nuages chatouilleux et du Mézenc farceur…

Chat au parapluie

Publié dans : Chronique de Lully, Lectures & relectures |le 13 février, 2011 |10 Commentaires »

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10 Commentaires Commenter.

  1. le 15 février 2011 à 12 h 20 min Sybille écrit:

    C’est super chouette !!!
    Merci mon Lully joli !!!

  2. le 14 février 2011 à 15 h 47 min Florence T. écrit:

    Tout est grandiose là-bas, alors les contes sont-ils vraiment des contes?…
    Mère Nature est une grande poétesse!

  3. le 14 février 2011 à 11 h 05 min Sophie écrit:

    Avec un nom pareil, rien d’étonnant à ce qu’il soit farceur, ce Monsieur Mézenc !
    Mais il fallait un barde espiègle pour nous le faire savoir…
    Merci, Monsieur le Barde, merci Lully !
    C’est aussi joli qu’un fou-rire de tonnerre et qu’un bazar à moustaches.

  4. le 13 février 2011 à 20 h 52 min SDM écrit:

    Bravo et merci! Un bon bain de jeunesse! Recommencez bientôt.

  5. le 13 février 2011 à 20 h 41 min Luciani écrit:

    Ma petite-fille sera enchantée par ce joli conte.
    Nielluccia a déja beaucoup apprécié ; elle est toute triste que son papa à elle ne puisse en faire autant.
    « Que veux-tu », lui dis-je, « tout le monde ne peut pas avoir du génie. »
    « Miaou », me répond-elle : on dirait que c’est un reproche!

  6. le 13 février 2011 à 20 h 36 min Clara écrit:

    Super! j’aime beaucoup.
    Merci infiniment ; je vais faire suivre pour ma petite Emma……

    Clara

  7. le 13 février 2011 à 19 h 35 min Michèle S.F. écrit:

    J’adore ♥, et je vais de ce pas, la conter à mes enfants : merci, Maître Lully, et BRAVO à votre moine-conteur!!!

  8. le 13 février 2011 à 19 h 28 min M.V. écrit:

    Très beau conte, très bien écrit.
    Merci cher Frère.
    UDP

    M.V.

  9. le 13 février 2011 à 19 h 24 min PICOCHE écrit:

    J’ai beaucoup aimé. Vous êtes un fin conteur.
    Merci.
    J’envoie à mes amis.
    JLP

  10. le 13 février 2011 à 19 h 22 min Michelle écrit:

    C’est joliment raconté.
    Félicitations à notre cher moine-poète!

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