2011-8b. De Saint Vincent, invincible et victorieux martyr (2ème partie).
Deux sermons
de
notre Bienheureux Père Saint Augustin
pour la
fête de Saint Vincent.
Après avoir résumé la vie et le martyre de Saint Vincent, puis évoqué la popularité de son culte (cf. > ici), nous pouvons méditer sur son exemple à l’aide des deux sermons que notre Bienheureux Père Saint Augustin a consacré au saint martyr.
Premier sermon sur Saint Vincent martyr.
Analyse : – 1. Force de saint Vincent. – 2. La force d’un martyr vient de Dieu. – 3. C’est à Dieu qu’il faut la demander. – 4. Les souffrances passent, mais la gloire est éternelle.
1. Jésus-Christ nous ordonne de célébrer solennellement l’héroïque et glorieux martyre de saint Vincent, et nous ne pouvons le prêcher avec indifférence. Nous avons médité ce qu’il a souffert, ce qui lui a été dit, ce qu’il a répondu, et tout cela a produit sous nos yeux un admirable spectacle : un juge inique, un bourreau cruel, un martyr invincible, la barbarie d’un côté, la piété de l’autre ; d’un côté la folie, de l’autre la victoire. En entendant la lecture des actes du martyr, nous avons senti la charité s’enflammer dans nos coeurs ; s’il eût été possible, nous aurions voulu recueillir et baiser avec respect ces membres en lambeaux, dont les souffrances nous frappaient d’étonnement et produisaient sur nous un attrait inexplicable, puisque nous ne voulions pas être crucifiés. Qui voudrait contempler un bourreau dépouillé de toute humanité, et déchargeant sa fureur sur un corps humain? Comment arrêter ses regards sur des membres disloqués, sur des ossements nus et brisés? Qui ne se détournerait de ce spectacle avec horreur? Et cependant, l’éclatante sainteté de notre martyr donnait à cette scène je ne sais quel reflet de beauté ; la force invincible avec laquelle il combattait pour la foi, pour l’espérance du siècle futur et pour la charité de Jésus-Christ faisait oublier l’horreur des tourments et des blessures et les revêtait d’une auréole de gloire et de triomphe.
2. Un attrait bien différent séduisait, dans ce spectacle, le persécuteur et nous. Il applaudissait aux souffrances du martyr, et nous à la cause pour laquelle il souffrait ; il était heureux de le voir souffrir, et nous de voir pourquoi il souffrait ; il se complaisait dans les douleurs de sa victime, et nous dans sa vertu ; lui, dans ses blessures, et nous, dans sa couronne ; lui, dans la durée de ses souffrances, et nous, dans son énergie à les supporter ; lui, dans les torturés corporelles, et nous, dans la fermeté et la persévérance de sa foi. Si donc le persécuteur trouvait sa cruauté satisfaite, toujours est-il que la vérité prêchée par le martyr était pour lui un remords et un tourment ; de notre côté, si l’horreur des supplices nous glaçait d’horreur, du moins la mort de Vincent était pour nous une grande victoire. Il restait vainqueur, non pas en lui-même et par lui-même, mais en Celui et par Celui qui, du haut de sa croix, prête à tous son puissant secours et nous a laissé dans ses propres souffrances un exemple et un appui. En nous appelant à la récompense, il nous exhorte au combat, et il nous contemple dans la lutte afin de venir au secours de notre faiblesse. A son athlète il détermine l’œuvre à accomplir et propose la récompense à recevoir, afin de prêter son appui et d’empêcher toute défaillance. Qu’il prie donc simplement celui qui veut combattre simplement, triompher généreusement et régner heureusement.
3. Nous avons entendu notre frère confessant la sainte doctrine et confondant son persécuteur par la constance et la véracité de ses réponses. Mais auparavant nous avons entendu le Seigneur s’écriant : « Ce n’est pas vous qui parlez, mais c’est l’Esprit de votre Père qui parle en vous (1)». Si donc saint Vincent a confondu ses adversaires, c’est parce qu’il a loué dans le Seigneur ses propres discours. Il savait dire : « Je louerai ma parole dans le Seigneur, je louerai mon discours dans le Seigneur ; j’espérerai dans le Seigneur, je ne craindrai pas ce que l’homme pourrait me faire (2)». Nous avons vu ce martyr supportant avec une admirable patience des tourments inouïs, mais il se tenait dans une complète dépendance à l’égard de Dieu. « Car c’est de Dieu que lui venait la patience (3)» ; toutefois, comme il connaissait notre fragilité humaine, comme il craignait toute défaillance qui aurait pu lui faire renier Jésus-Christ et combler de joie son persécuteur, il savait à qui il adressait ces belles paroles : « Mon Dieu, arrachez-moi de la main du pécheur, de la main de celui qui méprise votre loi et la foule indignement aux pieds ; car vous êtes ma patience (4)» . L’auteur de ces saints cantiques nous enseignait comment un chrétien doit demander d’être délivré des mains de ses ennemis ; ce n’est pas sans souffrir, mais en supportant patiemment toutes ses souffrances : « Arrachez-moi des mains du pécheur, des mains de celui qui méprise votre loi et la foule aux pieds». Si vous voulez savoir quelle délivrance il implore, écoutez ce qui suit : « Car vous êtes ma patience ». Toute souffrance est glorieuse quand elle est accompagnée de cette pieuse confession : « Afin que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur (5)». Que personne donc ne présume de son coeur, quand il proclame sa pensée ; que personne ne présume de ses forces, quand il subit la tentation ; car lorsque nos paroles sont dictées par la sagesse, cette sagesse ne nous vient que de Dieu, et c’est de Dieu aussi que nous vient la patience avec laquelle nous supportons nos souffrances. La volonté vient de nous ; mais du moment que Dieu nous appelle, nous sommes déterminés à vouloir. La prière est notre oeuvre ; mais nous ne savons pas ce que nous devons demander. C’est à nous de recevoir, mais que recevons-nous, si nous n’avons rien? C’est nous qui possédons, mais que possédons-nous, si nous ne recevons rien? Voilà pourquoi « celui qui se glorifie, doit se glorifier dans le Seigneur».
4. C’est ainsi que le martyr saint Vincent a mérité d’être couronné par le Seigneur, car c’est dans le Seigneur qu’il a désiré d’être glorifié par la sagesse et la patience. Il est digne de vos plus grands éloges, il est digne de l’éternelle félicité dont l’espérance lui a fait mépriser toutes les menaces de son juge, tous les tourments de son bourreau. Ses souffrances sont passées, mais son bonheur n’aura point de fin. Ses membres furent brisés, ses entrailles déchirées ; il fut soumis aux tortures les plus horribles, aux souffrances les plus cruelles ; mais, alors même que le bourreau se fût montré plus barbare, Vincent se serait écrié: » Les souffrances de cette vie ne sont rien en vue de la gloire éternelle qui nous attend au ciel « (6).
1. Matth. X, 20.
2. Ps. LV, 11.
3. Ps. LXI, 6.
4. Ps. LXX, 4, 5.
5. I Cor. I, 31.
6. Rom. VIII, 18.
Le corps de Saint Vincent défendu par un corbeau.
Second sermon sur Saint Vincent martyr.
Analyse : — 1. Courage de saint Vincent en présence de Dacianus. — 2. Saint Vincent, vivant et mort, reste vainqueur de Dacianus.
1. Nous avons sous les yeux, mes frères, le plus ravissant, spectacle. Deux hommes combattent l’un contre l’autre, le bourreau et sa victime, Vincent, le serviteur de Dieu, et Dacianus, le fils du démon. Le persécuteur sévissait sur le corps du martyr, mais saint Vincent n’éprouvait aucune crainte, parce qu’il voyait Jésus-Christ combattre pour lui. Malgré la sentence qui le condamnait, il resta vainqueur, parce qu’il n’était point abandonné par Celui dont il confessait hautement la divinité. A toutes les questions qui lui furent posées, il n’hésita pas à répondre et accrut ainsi le courroux de son persécuteur. Il enflamma la haine de son bourreau, afin d’accroître la gloire de son propre martyre. Quelle crainte pouvait inspirer à saint Vincent ce lion furieux et rugissant, puisque cet illustre martyr restait étroitement uni « au Lion de la tribu de Juda(1) », de qui il tirait toute sa force et son courage? Revêtu des armes de Jésus-Christ, Vincent marchait invincible et s’écriait : Que mon adversaire engage la lutte avec moi, si la confiance ne lui fait pas défaut, et il reconnaîtra qu’il se lassera plus tôt de me faire souffrir que moi de supporter mes souffrances. Saint Vincent est envoyé en exil, et il médite sur la voie qui le conduira au ciel. On le livre à la mort, et il se réjouit d’une vie meilleure ; il est étendu sur le chevalet, et sa figure rayonne d’autant plus que son persécuteur s’acharne davantage à le faire souffrir. Il est en face de son juge ; mais pendant qu’il est debout devant son bourreau, il prie dans son coeur le souverain Juge des vivants et des morts et s’écrie : O antique ennemi du genre humain, pourquoi m’épargnerais-tu dans mes souffrances, toi qui as osé tenter mon Dieu, mais sans pouvoir le vaincre ; car tu es resté écrasé sous sa puissance, comme la bête fauve sous les coups du chasseur? Je ne crains, dit-il, aucun des supplices qu’il te plaira de m’infliger, et ce qui ranime mon courage, c’est de te voir prendre à mon égard des airs de pitié et de miséricorde. Démon, lève-toi dans ta fureur ; pour éprouver la foi et le courage d’une âme chrétienne, ce n’est pas trop de tous les tourments réunis.
2. Dans sa fureur et sa colère, l’impie Dacianus s’écria : Celui-ci ne peut me vaincre ; pendant qu’il est encore vivant, qu’on lui inflige les tourments les plus cruels. O courage indomptable! O force d’âme invincible! Saint Vincent est torturé, broyé, flagellé, brûlé, et quand déjà son âme est allée recueillir la couronne, ses membres sont encore disloqués comme pour donner plus de prise à la souffrance. Vincent qui, chaque jour, rougissait de s’entendre appeler vaincu, semblait crier à son bourreau : Tu es resté maître du corps d’un martyr, mais voici qu’effrayé de te voir vaincu dans ton propre triomphe, tu es contraint d’avouer que ce cadavre lui-même te frappe d’une honteuse défaite. Ta cruauté criminelle, tu l’avouais toi-même, n’a fait que rehausser ma gloire. Maintenant que tu n’as plus entre les mains qu’un corps martyrisé, quel sera ton langage? Mes frères, écoutez ce que dit le bourreau : qu’on jette ce cadavre à la mer! Et comme si quelqu’un lui en eût demandé le motif : de crainte, dit-il, que nous n’ayons à rougir de combattre sans cause. O aveuglement de la fureur! cet impie, ce perfide, ce barbare Dacianus ne comprend donc pas que Celui qui peut rappeler une âme des enfers, peut également arracher à la mer le corps de son martyr. Du moins, dit-il, les flots cacheront sa victoire. Et comment donc cacheront-ils celui qu’ils reçoivent avec honneur? Ecoutez ce cri du Prophète : «La mer est à Dieu, c’est lui qui l’a faite, et ses mains ont jeté les fondements de la terre aride (2)». Poursuis, cruel démon ; tout élément, quel qu’il soit, fera certainement éclater la gloire de notre martyr et attestera ta honte et ta défaite. Voici que la mer a entendu, et toi tu restes sourd ; voici que le vent fait silence, et toi tu souffles la vengeance ; voici que les flots reçoivent avec une crainte respectueuse celui que les matelots leur jettent par tes ordres, et, dociles à l’action de la Providence, ils ramènent au port, avant même le retour de tes sicaires, ce corps précieux réservé aux honneurs de la sépulture. La mer jouit d’une tranquillité parfaite, et toi, cruel, tu restes en proie aux accès de ta fureur inique. Avoue donc l’impuissance de ta rage, puisque les flots eux-mêmes se chargent de rapporter ce cadavre. Puisqu’ils veulent pour lui la sépulture, que peut leur opposer ta sauvage férocité? La victime est échappée à sa misérable cruauté ; puisque Dacianus n’a pas voulu se souvenir de la puissance de Dieu, il ne lui reste plus qu’à pleurer sa honteuse perfidie. Il se flattait d’avoir trouvé un expédient infaillible, mais les flots lui ont refusé leur concours ; le malheureux n’a pas su assurer l’accomplissement de ses désirs ; ou bien, une leçon solennelle devait lui être donnée par la mer qui ne pouvait, contre les ordres de son Créateur, cacher dans ses flancs le corps du martyr. Quel délicieux spectacle de voir un martyr, combattant contre son bourreau, bravant toutes les tortures, terrassant son adversaire pendant sa vie et, après sa mort, rapporté par les flots au rivage. Quelle gloire rejaillit d’un tel martyre, dans lequel Jésus-Christ se plaît à entasser tant de merveilles! Quelle constance déploya saint Vincent! Quelle brillante couronne il s’acquit par sa victoire! N’en doutons pas, mes frères, Celui qui avait soutenu saint Pierre marchant sur les eaux, recueillit lui-même le corps de saint Vincent et l’empêcha de s’abîmer dans les flots. Il ne nous reste donc plus qu’à supplier saint Vincent d’intercéder en notre faveur auprès de Dieu et d’obtenir, par ses mérites, la glorification de l’Eglise de Jésus-Christ, à qui appartiennent l’honneur et la gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
1. Apoc. V, 5.
2. Ps. XCIV, 5.
Le corps de Saint Vincent jeté à la mer.
Vous pouvez laisser une réponse.
Laisser un commentaire