2010-44. De l’épopée des Zouaves Pontificaux, depuis 1861 jusqu’à la spoliation de Rome.

I. Les Zouaves Pontificaux  de 1861 à 1867.

   Constitués en bataillon en 1861 après le désastre militaire de Castelfidardo (comme nous l’avons vu > ici), les tirailleurs franco-belges, devenus les Zouaves Pontificaux, brûlaient du désir de se battre pour la cause du Souverain Pontife ; toutefois leur ardeur fut pendant longtemps soumise à l’épreuve de la patience. En effet de 1861 à 1867, les combats furent rares et limités à des escarmouches avec de petits groupes ennemis qui, aussitôt repérés, s’empressaient de repasser la frontière.

2010-44. De l'épopée des Zouaves Pontificaux, depuis 1861 jusqu'à la spoliation de Rome. dans Chronique de Lully 6a00e5517929858833010535119435970b320wicopie

   Pour occuper les Zouaves Pontificaux privés de combats, le gouvernement pontifical leur confia la charge de réprimer le brigandage qui sévissait depuis des décennies dans les États de l’Eglise. Ces « brigands romains » (comme ils sont appelés dans les textes de l’époque) n’étaient pas des partisans acquis à une cause politique mais de simples bandits de droit commun, précurseurs de la Maffia : ils utilisaient les mêmes procédés d’enlèvements de personnes ou de biens afin d’extorquer des rançons aux familles de leurs victimes. Ces brigands sévissaient principalement dans les Abruzzes, région montagneuse où il leur était facile de trouver des refuges et de dérouter leurs poursuivants.

   Déçus d’être considérés comme de simples gendarmes, quelques Zouaves Pontificaux rentrèrent chez eux à la fin de leur premier contrat d’engagement : c’est ce qui explique ces baisses ou stagnations d’effectifs que nous avons signalées dans notre précédent exposé (cf.> ici). Toutefois il faut remarquer que la majorité d’entre eux accepta de bon cœur cette mission policière, et prit parfois goût à la vie aventureuse dans les montagnes  : cela les changeait de la monotonie de la vie de caserne.

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   Les combats étaient peu fréquents et peu meurtriers pour les Zouaves car les brigands, quoique bien armés, évitaient l’affrontement et cherchaient toujours à passer la frontière au-delà de laquelle les troupes pontificales ne pouvaient les poursuivre. Les autorités piémontaises, elles, laissaient les brigands en paix – quand elle ne les encourageait pas tacitement – parce qu’elles les considéraient comme des auxiliaires utiles pour l’affaiblissement de l’Etat Pontifical! 

   Lorsqu’ils n’étaient pas en campagne, les Zouaves Pontificaux résidaient le plus souvent en garnison dans de petites localités comme Tivoli et Monterotondo (à l’est de Rome), Anagni ou Velletri (au sud), Viterbe, Bagnorea ou Montefiascone (au nord). Leur vie quotidienne était marquée par une pratique religieuse assidue, sous la direction vigilante des aumôniers. Les nombreux néerlandophones avaient évidemment les leurs. Les aumôniers des Zouaves français furent en particulier Monseigneur Jules Daniel et l’Abbé Peigné, tous deux originaires de Nantes.

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   En septembre 1864, Napoléon III et Victor Emmanuel II avaient signé un accord au sujet des États Pontificaux : le Royaume d’Italie s’engageait à ne pas porter atteinte à l’intégrité territoriale du Patrimoine de Saint Pierre et de la défendre, si besoin par la force, contre toute attaque extérieure (mais non intérieure) et, de son côté, l’Empire Français retirerait progressivement ses troupes dans un délai de deux ans à mesure que l’armée pontificale serait capable de prendre la relève.

   Les derniers soldats français du corps expéditionnaire quittèrent Rome en décembre 1866. La défense de l’État Pontifical reposait dorénavant  uniquement sur sa petite armée – principalement sur les Zouaves Pontificaux – et la « Légion d’Antibes » (dont nous avons aussi évoqué la création dans notre précédent article).

II. Mentana.

   En septembre 1867, Garibaldi, résolu « à casser la baraque pontificale » (sic), reprit l’offensive sur la frontière nord près du lac de Bolsena, sans que les forces piémontaises ne s’interposent. Avec ses « chemises rouges », il investit les villes d’Aquapendante, Bagnorea et Monterotondo. Dans la même période, à Rome même, le 22 octobre 1867, un attentat dans la caserne Serristori fit plus de vingt morts parmi les Zouaves. La plupart des victimes étaient italiennes.

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Le dégagement des victimes après l’attentat de la caserne Serristori.

   Inquiète de la tournure que prenaient les événements, l’opinion publique catholique française fit pression sur le gouvernement impérial. Napoléon III, qui avait besoin du soutien politique des catholiques, se vit contraint, malgré les engagements pris avec Victor Emmanuel II, d’envoyer un nouveau corps expéditionnaire dans les États Pontificaux.

   Commandées par le Général de Failly, les troupes françaises débarquèrent à Civitavecchia le 29 octobre 1867. Déjà Garibaldi et ses « chemises rouges » avaient atteint le Monte-Sacro, à quelques kilomètres seulement de la Ville Sainte, dont il avait résolu de faire le siège. Le courage des troupes pontificales, l’arrivée du corps expéditionnaire français ainsi que les nombreuses désertions parmi les « chemises rouges » l’en dissuadèrent et il se replia alors sur Monterotondo.

   Le Général Hermann Kanzler, qui avait succédé à Monseigneur de Mérode comme ministre des armées du Saint-Siège, tenta d’obtenir du Général de Failly que la totalité des troupes françaises se joignent aux siennes pour poursuivre Garibaldi. Il obtint seulement l’appui direct d’une brigade de 2.000 hommes commandés par le Général de Polhes. Les forces pontificales quant à elles se montaient à 5.000 hommes, parmi lesquels 2.000 soldats français et 1.500 Zouaves Pontificaux.

   Le 2 novembre 1867 les Pontificaux arrivèrent devant Mentana, petite ville au Nord de Rome, dans laquelle les garibaldiens s’étaient retranchés.

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Zouaves Pontificaux devant le château de Mentana.

   La bataille fut engagée le 3 novembre au matin et elle fut acharnée. Malgré le pilonnage intensif de l’artillerie pontificale et les charges furieuses des Zouaves, les « chemises rouges » résistèrent longtemps. L’armée du Saint-Siège se battit héroïquement.

   Les soldats français du Général de Polhes (qui restèrent assez en arrière) étaient équipés avec de nouveaux fusils Chassepot qui se chargeaient par la culasse et dont la portée de tir était nettement supérieure à celles des autres armes utilisées sur le champ de bataille. C’est ce qui permit au Général de Failly, le lendemain, de télégraphier au ministre des affaires étrangères impérial la fameuse dépêche : « Les chassepots ont fait merveille… ».

   Les Zouaves Pontificaux eurent à déplorer 39 morts et de nombreux blessés. Du côté des garibaldiens il y eut 150 morts, 240 blessés et 1.600 prisonniers. Garibaldi s’était enfui avant l’assaut final ; il fut arrêté deux jours plus tard sur le territoire italien, par ordre du roi Victor Emmanuel II, et fut enfermé dans la forteresse de Varignano puis exilé sous étroite surveillance dans l’île de Caprera.

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Médaille de Mentana.

III. De Mentana à la prise de Rome.

   La victoire de Mentana procurera un sursis de trois ans à l’État Pontifical. Les années 1868 et 1869 furent calmes : les Zouaves Pontificaux furent de nouveau affectés à la garde des frontières et à la poursuite des « brigands romains ». L’opinion publique catholique savait cependant que ce calme était précaire, car Victor Emmanuel II n’avait pas renoncé, malgré ses promesses, à réaliser l’unité de l’Italie à son profit et à faire de Rome la capitale du nouveau royaume.

   En France, à l’appel de Monseigneur Pie, évêque de Poitiers et futur cardinal, des comités de soutien à la cause pontificale, appelés « comités de Saint Pierre », se créèrent dans plusieurs villes : leur but était de recueillir des fonds afin d’aider  à l’équipement des troupes pontificales. Une souscription ouverte en Bretagne et en Vendée permit de faire fabriquer par l’arsenal de Liège (en effet, les arsenaux français avaient refusé de s’en charger!) six canons rayés du dernier modèle. Les souscriptions lancées dans d’autres diocèses permirent également d’acheter 230 mousquetons Remington, soixante mulets pour l’artillerie de montagne, deux canons de montagne, 4.000 fusées pour obus, soixante caisses de munitions. Les diocèses de Paris et de Normandie prirent à leur compte l’achat et le transport de 90 chevaux. Un demi million de francs récolté en France fut consacré aux travaux de renforcement des fortifications de Rome.

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Monseigneur Louis-Edouard Pie, évêque de Poitiers, futur cardinal,
ardent zélateur du soutien aux Zouaves Pontificaux.

   En juillet 1870, la France déclara la guerre à la Prusse. Cet événement allait poser un cas de conscience pour les Zouaves Pontificaux français. Devaient-ils quitter l’Italie pour aller combattre en France ? Beaucoup de ceux qui étaient astreints aux obligations militaires comme réservistes rentrèrent, d’autres, s’estimant liés par leur engagement au service du Pape restèrent. Mais la guerre franco-prussienne allait aussi changer les rapports de force. Napoléon III rappela le corps expéditionnaire du Général de Failly, affaiblissant ainsi la défense militaire du Souverain Pontife. Le 2 septembre 1870, après la défaite française de Sedan, Victor Emmanuel II, n’ayant plus à craindre une intervention française, décida du dernier assaut.

IV. 20 septembre 1870 : la prise de Rome.

   Victor Emmanuel II commença par envoyer à Pie IX un plénipotentiaire qui lui proposa d’accepter que les troupes italiennes entrent dans Rome : le prétexte était qu’elles pourraient y maintenir l’ordre qui risquait d’être troublé par des bandes révolutionnaires. Le Souverain Pontife rejeta bien évidemment cette proposition hypocrite.

   Le 12 septembre 1870, cinq divisions italiennes, déjà massées en Toscane et en Ombrie, franchirent la frontière et marchèrent sur Rome. L’armée pontificale se replia sur la capitale, mais pas sans une défense courageuse : ainsi, à Civita-Castellana, 200 Zouaves enfermés dans le château résistèrent pendant cinq heures à 15.000 italiens!

   Le Général Kanzler mit la Ville Sainte en état de défense : 22 kilomètres de remparts pas toujours en très bon état.

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Le Général Hermann Kanzler.

   Le 17 septembre 1870, l’Armée italienne commença le siège.
Le 19 septembre (anniversaire de l’apparition de Notre-Dame de la Salette, qui avait prophétisé ces malheurs), Pie IX fit sa dernière sortie dans Rome : il se rendit à la Scala Santa qu’il gravit à genoux en pleurant. Le peuple romain l’acclama, pria avec lui, pleura avec lui…

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Pie IX bénissant les troupes pontificales.

   Le 20 septembre, dès 5 heures du matin, l’artillerie piémontaise commença un tir intensif sur tout le pourtour des remparts. Toutefois les bersaglieri concentrèrent leurs attaques du côté de la Porta Pia, qui était défendue par le Capitaine du Réau de La Gaignonière.
Les Piémontais n’attaquèrent pas la Porta Pia elle-même, mais  à quelques dizaines de mètres de là, parce qu’ils avaient été informés que la muraille était particulièrement fragile à cet endroit. C’était en effet le fond des jardins de la Villa Bonaparte, où résidait Napoléon-Charles Bonaparte, troisième Prince de Canino et Musignano (petit-fils de Lucien Bonaparte). Ce Bonaparte, quoique bénéficiant de l’hospitalité du Saint-Siège, s’était opposé au renforcement de la vieille muraille du fond de sa propriété et l’avait lui-même fait savoir aux Piémontais : la fameuse « brèche de la Porta Pia » est donc due en grande partie à l’ingratitude et à la trahison !

   C’est donc vers 9 heures du matin que la muraille céda à la mitraille italienne au fond des jardins de la Villa Bonaparte. Les soldats italiens s’engouffrèrent dans la brèche tandis que les Zouaves Pontificaux tentaient vainement de les arrêter, d’abord par un feu de salve puis par une attaque à la baïonnette. Mais à 10 heures, l’ordre du cessez le feu arriva.

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La Porta Pia et, sur la droite du cliché, la brèche pratiquée dans la muraille au fond des jardins de la Villa Bonaparte dont on aperçoit le toit.

   Le Pape Pie IX avait voulu une défense de protestation contre l’agression des troupes de Victor Emmanuel II, pour bien montrer qu’il ne cédait qu’à la force ; il se refusait  toutefois à voir se prolonger les combats et à laisser répandre le sang de ses courageux défenseurs. A partir de ce jour, le Bienheureux Pie IX considéra qu’il était l’otage du nouveau royaume d’Italie. Il faudra presque soixante ans pour que soit réglée la « Question Romaine » par la création de l’Etat de la Cité du Vatican (11 février 1929).

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Tiare du Bienheureux Pie IX.

V. Après la fin des combats.

   La convention de capitulation fut signée à midi à la Villa Albani, par le Général Kanzler pour l’armée pontificale et par le Chef d’état major Rivalta et le Lieutenant-Général Cadorna pour l’Armée italienne. Elle stipulait que les troupes étrangères se retireraient avec les honneurs de la guerre et devaient être regroupées dans la Cité Léonine (c’est à dire dans l’enceinte du Vatican et du Château Saint Ange).

   Les Zouaves Pontificaux, qui déploraient la perte d’une dizaine des leurs, vécurent alors une de leur plus dure épreuve. En effet, au mépris de la convention de capitulation, une partie du bataillon fut emmenée et les hommes traités comme prisonniers de guerre passèrent la nuit dans des camps improvisés. Les autres purent, non sans difficultés, sous les huées et les insultes, se regrouper au Vatican.

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Troupes pontificales massées sur la Place Saint-Pierre en 1870.

   Le 21 septembre au matin, tout ce qui restait des troupes pontificales était réuni sur la place Saint-Pierre. A une fenêtre du Palais Apostolique, le Pape Pie IX les bénit en pleurant. Tout était fini.

   A ce jour, sur la place Saint-Pierre, les Zouaves Pontificaux comptaient 1.172 Néerlandais (dont 7 officiers), 760 Français (dont 78 officiers), 563 Belges (dont 21 officiers), 297 Canadiens, Britanniques et Irlandais (dont 4 officiers), 242 Italiens (dont 9 officiers), 86 Prussiens (dont 2 officiers), 37 Espagnols (dont 1 officier), 19 Suisses (dont 5 officiers), 15 Autrichiens (tous hommes de troupe), 13 Bavarois (dont 1 officier), 7 Russes et Polonais (dont 1 officier), 5 Badois, 5 ressortissants des États-Unis d’Amérique, 4 Portugais, 3 Hessois, 3 Saxons, 3 Wurtembergeois, 2 Brésiliens, 2 Equatoriens, 1 Péruvien (officier), 1 Grec, 1 Monégasque, 1 Chilien, 1 Ottoman et 1 Chinois. Ces chiffres comprennent les 4 aumôniers, le chirurgien-major et ses 4 aides-majors.

VI. Les Zouaves renvoyés chez eux.

   Les officiers français des Zouaves Pontificaux furent dirigés le jour même sur le port de Civitavecchia où ils embarquèrent, avec les autres officiers européens, anglo-saxons et sud américains, sur la frégate « l’Orénoque », de la marine de guerre française, qui y stationnait. Les hommes de troupe français montèrent à bord d’un paquebot des Messageries Maritimes « l’Ilyssus » qui avait été détourné pour l’occasion. Débarqués à Toulon le 27 septembre 1870, ils y  eurent la désagréable surprise de croiser leurs ennemis d’hier, un groupe de « chemises rouges » venues s’engager comme volontaires dans la Légion Garibaldienne pour défendre la France républicaine! …

   Les Zouaves Pontificaux Néerlandais et Belges, y compris leurs officiers, furent rapatriés par voie ferroviaire, à travers  la Suisse et l’Allemagne.

   La spoliation des Etats de l’Eglise et la fin de la souveraineté temporelle du Bienheureux Pie IX mettait un terme à l’aventure italienne des Zouaves Pontificaux, mais pas à leur histoire : très rapidement les Zouaves Pontificaux français allaient écrire de leur sang une nouvelle et glorieuse page de l’histoire de l’héroïsme catholique, dont nous ferons plus tard le récit.

(à suivre)

popeslegion fusil chassepot

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11 Commentaires Commenter.

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  1. le 20 septembre 2024 à 9 h 54 min Goës écrit:

    Je comprends mieux le fait que ce soit la France qui a déclaré la guerre à la Prusse en 1870.

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