2008-34 a. Premier anniversaire du motu proprio « Summorum Pontificum cura » (1ère partie).
Nous nous permettons de reproduire ici un article publié il y a déjà quelques semaines par Monsieur l’Abbé François Clément, de Lausanne (Suisse), chapelain des fidèles attachés à la Sainte Messe latine traditionnelle, sur le site de l’association Saint Nicolas de Flüe. Nous partageons bien des points de vue exprimés par Monsieur l’Abbé Clément et c’est pourquoi, indépendamment de ce qui est propre à la situation en Suisse, à l’occasion du premier anniversaire du motu proprio « Summorum Pontificum cura », ce 7 juillet 2008, nous tenons à répercuter ici ce texte.
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Une année après le Motu proprio
par l’abbé François Clément, prêtre du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg.
» Unus abhinc annus… Une année après…
Dans quelques semaines, nous fêterons le premier anniversaire du Motu Proprio : ce peut être l’occasion d’un premier bilan, ou en tous cas de quelques réflexions salutaires pour la suite des événements. Je me limite, bien sûr, à ce qui se passe dans notre diocèse, sachant que beaucoup de choses ont « bougé » en France et ailleurs.
La raison fondamentale de se réjouir, au-delà de certaines difficultés d’application, me semble être que l’on ne peut plus, désormais, nous accuser d’être de « mauvais élèves ». Jusqu’ici, en effet, beaucoup pensaient que nous étions des nostalgiques qui n’avaient pas réussi à se convaincre pleinement de la richesse de la réforme liturgique et que nous étions une épine dans le pied de sa complète réalisation. On tolérait donc de plus ou moins bonne grâce cette « parenthèse miséricordieuse » en attendant que le problème se règle par extinction. Désormais, on parle autrement (le Cardinal Hoyos encore récemment) : la liturgie selon la forme extraordinaire du rit romain est une richesse positive de l’Eglise qu’on ne peut plus lui arracher. Il n’y a donc plus de risque de voir disparaître le rit qui nous fait vivre… Mais cela a plusieurs autres conséquences.
La première est la formulation du Motu Proprio lui-même. S’il n’y a, de par la volonté du Souverain Pontife, qu’un seul rit romain, avec deux formes, l’une ordinaire, actuelle et majoritairement utilisée dans l’Eglise latine, et l’autre dite « extraordinaire », utilisant la langue latine, plus traditionnelle et de fait préférée par des communautés et paroisses numériquement moins nombreuses mais significatives, aucune de ces deux formes ne peut faire comme si l’autre n’existait pas… Les tensions qui ont suivi, à la fin des années 60, la suppression « de facto » de ce qu’on appelait alors « l’ancien rit » ont eu pour effet d’abord des affrontements parfois violents (S. Nicolas du Chardonnet, Port-Marly ou, chez nous, Riddes, par exemple), puis, lentement, l’instauration d’un état de fait où l’on s’ignorait concrètement, avec des lieux de culte parfaitement étanches et parallèles. Aujourd’hui, le Pape dit à toutes les âmes de bonne volonté – il y en a, Dieu merci, des deux côtés ! – : «Rencontrez-vous, connaissez-vous, vivez comme des chrétiens et cultivez la charité dans la vérité !» On faisait remarquer fort à propos que le Motu Proprio concerne tous les catholiques : ceux qui en usent habituellement doivent accepter que l’Eglise a continué de vivre après le 11 octobre 1962 (à cet égard, la modification par SS. le Pape Benoît XVI de la prière pour les juifs du Vendredi Saint est un bon indice : ce missel qui était « congelé » depuis lors continue donc à vivre, comme cela a été le cas à de nombreuses reprises depuis sa première promulgation en 1570), et ceux qui sont les habitués du « rit ordinaire » ne peuvent plus agir comme si rien n’avait précédé cette pratique. Autrement dit : d’un côté comme de l’autre, il faut s’efforcer d’agir non en opposition systématique mais pour des raisons positives et en sachant que l’autre existe. Un travers courant de nos milieux a parfois été de vouloir à tout prix « faire Tradi », c’est-à-dire systématiquement le contraire des « autres »…Des pratiques aberrantes, qui portent souvent sur des détails, de part et d’autre, alimentent des séparations et des éloignements inutiles. Cela semble traduire davantage une faiblesse et une peur qu’une paisible conviction du bien.
La deuxième est de se donner du mal pour que nos messes soient encore plus belles et plus « convaincantes », plus paisibles et plus priantes. Si la liturgie n’est qu’un prétexte voilé à je ne sais quels combats personnels, si elle ne conduit pas à une vraie intimité avec le Christ et n’est pas l’expression d’une intériorité qui en est la source et le sommet, alors elle n’est qu’une coquille vide qui décevra rapidement, et apparaîtra en outre caricaturale aux non-initiés. Dom Edouard Roux, premier abbé de Fontgombault qui fut pendant des années maître des novices à Solesmes, aimait à dire, sachant qu’à l’époque tout le monde admirait à juste titre la perfection de la liturgie clunisienne dont l’abbaye chef d’Ordre était l’héritière : « L’action de grâces silencieuse dans les stalles après les messes basses du matin, ça c’est le vrai et le grand Solesmes… » Ne soyons jamais des consommateurs en liturgie : il faut que chacun pense qu’il peut y apporter quelque chose, pour le chant (il y aurait là aussi beaucoup à dire, entre perfection raisonnable à chercher et acceptation humble de la réalité, les « privilèges de tribune » et les autismes qui font fuir ceux qu’on taxe un peu vite de béotiens, ou une manière hautaine de dissuader les simples fidèles de répondre à la messe !…), le service d’autel pour lequel il faut apprendre avec patience, les fleurs et le linge d’église qui doivent rester des services à partager et non devenir des royaumes exclusifs, le souci de soutenir de son obole la marche matérielle de chaque communauté, et bien sûr la ferveur commune et silencieuse, etc… Je profite de l’occasion pour remercier chaleureusement tous ceux qui assurent déjà tout cela, et je lance un appel pour que l’on ne pense pas trop vite que je ne parle qu’au voisin… Là on voit clairement que la liturgie est une œuvre de charité et que cela suppose des renoncements à soi qui peuvent être coûteux mais infiniment profitables à l’Eglise, car on n’est jamais l’Eglise à soi tout seul !
La troisième est d’user de patience. Il a fallu plus de 30 ans pour arriver à la situation actuelle. Des améliorations notables se sont déjà fait jour, qu’il devient même un peu long d’énumérer. Après le temps des galetas, des garages et des catacombes, on commence vraiment à émerger en surface, et souvent avec la bienveillance des autorités sur le terrain. On ne peut donc exiger la lune à court terme. « Comment se fait-il que les Evêques ne nous ouvrent pas toutes les églises, que l’on a pas la messe tous les jours, on a assez souffert, etc… ! ». Cela provoque d’autres réactions, du style : « On ne va tout de même pas donner raison à ces gens-là qui nous volent notre concile, qui ont toujours désobéi, etc… ! ». La première chose à faire est de multiplier les contacts chaque fois qu’ils sont possibles. Non pas pour exiger, mais pour se connaître, pas pour régler aigrement ses comptes mais pour témoigner paisiblement de ce qui nous fait vivre. Un indice me semble prometteur à cet égard au sein du jeune clergé, par exemple : contrairement à leurs prédécesseurs, les jeunes prêtres ont grandi dans une situation de pluralisme. Ils sont donc moins tentés de désirer une situation tyranniquement uniforme. Dans la palette si diverse des expressions de la foi dans l’Eglise, nous avons désormais une place au moins théoriquement indiscutée : à nous d’être assez bons pour que la comparaison que les fidèles ne manqueront pas de faire joue en notre faveur…
Ce qui est juste et vrai ne peut pas mourir. Ce qui a été inspiré par l’Esprit de Dieu, poli par les siècles et gardé vivant est encore là, sous nos yeux éblouis. La guerre cesse parfois aussi faute de combattants et on ne va pas se plaindre d’une certaine paix retrouvée, même s’il arrive que certains opposants aux décisions pontificales soient précisément encore en retard d’une guerre… L’Eglise dans son ensemble a les promesses de la vie éternelle. Permettez-moi de citer Julien Green dans sa conclusion de cette espèce d’autobiographie qu’il écrivit au soir de sa longue existence : « Dans l’inoubliable journée du 29 mai 1453, quand les Turcs se ruèrent à l’intérieur de Sainte Sophie pour massacrer les chrétiens, une Messe se disait. Une tradition veut qu’alors le mur s’ouvrit derrière l’autel pour laisser passer le prêtre te ses acolytes, puis se referma sur eux. Un jour, dit-on, la messe interrompue s’achèvera là où elle a commencé. L’image est belle et plus que jamais chargée de sens, car il y aura toujours une Sainte Sophie à envahir et des croyants à exterminer, mais le Christ a dit de ne pas craindre parce qu’Il a vaincu le monde. C’est la promesse de l’amour. « ( J. Green, Ce qu’il faut d’amour à l’homme, 1978, librairie Arthème Fayard, Paris 1996, p.195) »
Abbé F. Clément, Chapelain diocésain
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