2007-6. Où il est question de ce qu’écrivait, en 1998, le Cardinal Joseph Ratzinger à propos de la réforme liturgique et de quelques réflexions présentes.

   Parce que les questions relatives à la Sainte Messe latine traditionnelle et au nouvel  »ordo missae » – fortement (et à juste titre) contesté -, reviennent constamment sur le tapis, j’ai voulu aller rechercher pour vous ce que le futur Benoît XVI, alors Cardinal Joseph Ratzinger, a écrit au sujet de la réforme liturgique de 1969-1970 dans « Ma vie, souvenirs » (Fayard, 1998 – aux pages 132 à 135) :

   « Le deuxième grand événement au début de mes années à Ratisbonne fut la publication du missel de Paul VI, assortie de l’interdiction quasi totale du missel traditionnel, après une phase de transition de six mois seulement.

(…) J’étais consterné de l’interdiction de l’ancien missel, car cela ne s’était jamais vu dans toute l’histoire de la liturgie. Bien sûr, on fit croire que c’était tout à fait normal. Le missel précédent avait été conçu par Pie V en 1570 à la suite du concile de Trente. Il était donc normal qu’après quatre cents ans et un nouveau concile, un nouveau pape présente un nouveau missel. Mais la vérité historique est tout autre : Pie V s’était contenté de réviser le missel romain en usage à l’époque, comme cela se fait normalement dans une histoire qui évolue. Aussi nombreux furent ses successeurs à réviser ce missel, sans opposer un missel à un autre. Il s’agissait d’un processus continu de croissance et d’épurement, sans rupture. Pie V n’a jamais créé de missel. Il n’a fait que réviser le missel, phase d’une longue évolution. La nouveauté, après le concile de Trente, était d’un autre ordre : l’irruption de la Réforme s’était accomplie essentiellement à la manière des « réformes liturgiques ». Il n’y avait pas simplement une Eglise catholique et une Eglise protestante côte à côte ; le clivage de l’Eglise se produisit presque imperceptiblement, et de la façon la plus visible comme historiquement la plus efficiente, par la transformation de la liturgie, qui prit des formes très différentes selon les lieux ; de sorte que souvent on ne distinguait pas la frontière entre ce qui était « encore catholique » et ce qui n’était « plus catholique ». Dans cette confusion, devenue possible par manque de législation liturgique uniforme et par l’existence d’un pluralisme liturgique datant du Moyen-Age, le pape décida d’introduire le Missale Romanum, livre de messe de la ville de Rome, comme indubitablement catholique, partout où l’on ne pouvait se référer à des liturgies remontant à au moins deux cents ans. Dans le cas contraire, on pourrait en rester à la liturgie en vigueur, car son caractère catholique pourrait alors être considéré comme assuré. Il ne pouvait donc être question d’interdire un missel traditionnel juridiquement valable jusqu’alors.
Le décret d’interdiction de ce missel, qui n’avait cessé d’évoluer au cours des siècles depuis les sacramentaires de l’Eglise de toujours, a opéré une rupture dans l’histoire liturgique, dont les conséquences ne pouvaient qu’être tragiques. Une révision du missel, comme il y en avait souvent eu, pouvait être plus radicale cette fois-ci, surtout en raison de l’introduction des langues nationales ; et elle avait été mise en place à bon escient par le concile.

   Toutefois, les choses allèrent plus loin que prévu : on démolit le vieil édifice pour en construire un autre, certes en utilisant largement le matériau et les plans de l’ancienne construction. Nul doute que ce nouveau missel apportait une véritable amélioration et un réel enrichissement sur beaucoup de points ; mais de l’avoir opposé en tant que construction nouvelle à l’histoire telle qu’elle s’était développée, d’avoir interdit cette dernière, faisant ainsi passer la liturgie non plus comme un organisme vivant, mais comme le produit de travaux érudits et de compétences juridiques : voilà ce qui nous a porté un énorme préjudice. Car on eut alors l’impression que la liturgie était « fabriquée », sans rien de préétabli, et dépendait de notre décision. Il est donc logique que l’on ne reconnaisse pas les spécialistes ou une instance centrale comme seuls habilités à décider, mais que chaque « communauté » finisse par se donner à elle-même sa propre liturgie.
Or, lorsque la liturgie est notre oeuvre à nous, elle ne nous offre plus ce qu’elle devrait précisément nous donner : la rencontre avec le mystère, qui n’est pas notre « œuvre », mais notre origine et la source de notre vie.
Un renouvellement de la conscience liturgique, une réconciliation liturgique qui reconnaîtrait l’unité de l’histoire liturgique, et verrait en Vatican II non une rupture mais une étape, est d’une nécessité urgente pour l’Eglise. Je suis convaincu que la crise de l’Eglise que nous vivons aujourd’hui repose largement sur la désintégration de la liturgie qui est même parfois conçue de telle manière – etsi Deus non daretur - que son propos n’est plus du tout de signifier que Dieu existe, qu’Il s’adresse à nous et nous écoute. Mais si la liturgie ne laisse plus apparaître une communauté de foi, l’unité universelle de l’Eglise et de son histoire, le mystère du Christ vivant, où l’Eglise manifeste-t-elle donc encore sa nature spirituelle ? Alors la communauté ne fait que se célébrer elle-même. Et cela n’en vaut pas la peine. Et parce qu’il n’existe pas de communauté en soi, mais qu’elle jaillit toujours et seulement du Seigneur lui-même, par la foi, comme unité, la désagrégation en toutes sortes de querelles de clochers, les oppositions partisanes dans une Eglise qui se déchire deviennent ainsi inéluctables. C’est pourquoi nous avons besoin d’un nouveau mouvement liturgique, qui donne le jour au véritable héritage du concile Vatican II. »

   Comme j’ai été très attentif aux commentaires et aux explications du texte du motu proprio « Summorum Pontificum cura », publié le 7 juillet 2007 par notre Saint-Père le Pape, je ne peux m’empêcher de penser que, maintenant qu’il a accédé au Souverain Pontificat sous le nom de Benoît XVI, Joseph Ratzinger veut mettre en œuvre ce nouveau mouvement liturgique qu’il appelait alors de ses vœux afin d’enrayer la désagrégation et la crise qu’il dénonçait avec lucidité.

   L’affirmation catégorique de ce motu proprio selon laquelle – contrairement à certaines paroles péremptoires de Paul VI, qui semblent désormais pudiquement « oubliées » – le missel traditionnel n’a jamais été aboli ni interdit, s’inscrit dans ce processus, déjà amorcé par le discours prononcé en décembre 2005 devant la Curie, qui tend en quelque sorte à renouer les fils rompus, à restaurer une continuité mise à mal par un concile ambigu et sa mise en oeuvre véritablement catastrophique…
Nous devons donc penser que pour Benoît XVI il ne s’agit pas seulement de permettre aux fidèles attachés à la « forme antérieure du rite romain », jusqu’ici tenus en suspicion et marginalisés malgré les dispositions prises par Jean Paul II, de retrouver un usage « normal » et pleinement légitimé du missel publié avant le second concile du Vatican, conformément à la pratique séculaire qui admettait la coexistence de plusieurs rites particuliers à l’intérieur du rite romain, mais bien de poser les fondements de cette « réforme de la réforme » dont il a plusieurs fois parlé.
Comment cela se fera-t-il ?
Au bout de ce processus de réforme y aura-t-il encore deux missels présentés comme deux formes – l’une ordinaire et l’autre extraordinaire – d’un même rite ? ou bien y aura-t-il une sorte de « troisième missel » qui ferait une sorte de « mix » avec des éléments, pris dans le missel de 1962 et dans celui de 1970, et qui serait appelé à les supplanter progressivement l’un et l’autre (quod optandum non mihi videtur) ? ou bien arriverons-nous à une véritable restauration du missel romain traditionnel, enrichi et amélioré en conformité avec le processus de croissance organique qui a toujours été, et à une telle correction du missel de Paul VI qu’il rentrera sagement – tel l’enfant prodigue à la maison paternelle après nombre de scabreuses aventures ! – dans le giron sûr et fécond de la liturgie pérenne de l’Eglise catholique, c’est-à-dire universelle, d’une universalité qui n’est pas seulement géographique mais aussi temporelle, affranchie des contingences des modes et des théories d’une période particulière ?
Vous le devinez, mon cœur incline à voir la réalisation de cette dernière solution.

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